Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/930

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais si elle était liquide dans l’air au moment de sa chute, la pluie cessait de l’être dès qu’elle avait rencontré le sol. Elle s’y prenait aussitôt en une couche solide, brillante et polie comme un vernis, et tellement glissante que les animaux et les hommes avaient peine à se tenir debout. Si les choses en étaient restées là, ce n’eût été qu’un verglas ordinaire comme on en voit tous les ans. Ce qui fait le caractère particulier de celui-ci, c’est qu’il se déposait sur les arbres, les rameaux et les feuilles, sur les fils télégraphiques, sur les parapluies, sur les vêtemens, sur les glaces des voitures, non en dedans, mais en dehors, sur tous les objets, même sur ceux qui étaient chauds. La pluie persista pendant la journée du 22, pendant la nuit tout entière et une partie du jour suivant. A mesure qu’elle tombait, la couche glacée continuait de s’accroître ; elle atteignit des proportions inouïes.

Il y en avait une telle quantité sur le sol, à Fontainebleau, que les marches inférieures d’un escalier de pierre avaient rejoint celles de dessus. On voyait un manchon de 4 centimètres sur les fils télégraphiques et une couche de 2 centimètres sur une feuille dont l’épaisseur normale atteignait à peine un millimètre. Les arbres verts surtout, qui offraient plus de surface à la pluie, étaient plus particulièrement chargés ; les assises annuelles des épicéas, considérablement affaissées, s’appuyaient et s’étageaient l’une sur l’autre depuis le sol jusqu’à la flèche, et le tout avait l’apparence d’un cône revêtu d’un cornet de glace.

Ces dépôts ne ressemblaient en rien à ceux du givre ou de la gelée blanche, qui sont formés de petites aiguilles blanches sans dureté ; ils étaient constitués par une glace dure, à contours arrondis, si transparente qu’on voyait nettement à l’intérieur le brin d’herbe ou le rameau sur lequel elle était déposée. Cette glace différait aussi de celle que fait la gelée ordinaire. Elle était humide et mouillée de gouttes d’eau qui tombaient. Il semblait qu’une portion seulement de la pluie prenait l’état solide pendant que le reste demeurait liquide ; c’était tout à la fois une formation continue de glace et les apparences du dégel. Nous reviendrons bientôt sur cette particularité.

Je tiens du général Riffault un détail que les dessins du capitaine Piebourg confirment en partie. Chaque branche, chaque rameau était enveloppé d’un manchon glacé qui n’avait pas la même épaisseur dans tous les sens. Il y avait plus de glace vers le ciel d’où venait la pluie, il y en avait moins vers la terre ; ce qui prouve que l’eau se congelait instantanément aussitôt qu’elle touchait la branche, sans prendre le temps de la contourner en s’écoulant vers le bas par l’effet de la pesanteur.