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d’emploi ni pour les capitaux ni pour les bras ! Notre pays gardera toujours ses avantages naturels, et la concurrence, en le forçant à améliorer ses procédés de fabrication, rendra le travail plus actif en même temps qu’elle le délivrera de quelques industries ruineuses. Ruineuses en effet sont les industries qui ne peuvent vivre qu’à la condition de se sentir protégées par des taxes trop élevées ; ruineuses pour le pays, parce qu’elles dépensent, en capital et en main-d’œuvre, une force perdue qui serait utilisée dans d’autres branches de travail ; ruineuses pour les consommateurs, c’est-à-dire pour tout le monde, parce qu’elles prélèvent sur nos besoins un impôt exorbitant. Eh bien ! soit, quelques industries succomberont, et il se pourra que des ateliers soient fermés au travail. Cette hypothèse, si pénible qu’elle soit, et d’ailleurs très limitée, est-elle de nature à retenir le législateur ? Les crises partielles et momentanées de la main-d’œuvre, qui surviennent en tout pays, soit par suite du ralentissement des transactions, soit à cause de faillites particulières, sont tout aussi douloureuses pour les familles d’ouvriers, et ce n’est point à la loi, œuvre d’intérêt général et permanent, que l’on demande d’y porter remède. Sans remonter bien loin dans le passé, l’intérêt des ouvriers a-t-il empêché les filateurs, les tisseurs et tant d’autres de remplacer l’ancien mode de travail par le travail mécanique, en réduisant au chômage un grand nombre de bras ? Aujourd’hui même ne voyons-nous pas les ouvriers qui se livraient à la culture et à la préparation de la garance congédiés devant l’introduction de la garance artificielle que nos manufacturiers n’hésitent pas (et ils ont raison) à faire venir de l’étranger où elle coûte moins cher ? Ces conséquences sont inévitables ; elles accompagnent chaque évolution du progrès industriel, elles affectent tantôt le capital, tantôt la main-d’œuvre. Il n’appartient pas aux patrons d’en tirer un argument pour la question qui se discute, et ils commettent une faute grave lorsqu’ils tentent d’exciter par ce moyen les passions des populations ouvrières.

Il a été souvent fait mention, dans la partie de l’enquête relative aux tarifs, de la concurrence américaine. Avant la guerre de sécession, les États-Unis recevaient de l’Europe, en échange de leurs produits agricoles, une grande quantité de produits fabriqués, Après la guerre, le gouvernement, obligé d’augmenter les recettes du trésor, a imposé sur les marchandises étrangères des droits d’entrée fort élevés. Ce tarif a déterminé les Américains à produire eux-mêmes les articles que l’Europe leur fournissait et à développer leurs manufactures. L’exposition universelle de 1878 a prouvé les progrès considérables qu’ils ont réalisés dans les formes les plus variées de l’industrie, et il résulte des statistiques commerciales que leurs