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mêmes organes. La commission des tarifs a entendu quelques-uns de ces manufacturiers qui, en 1860, avaient fait part de leur mort prochaine, et qui venaient de nouveau, en 1878, prononcer le de profundis sur leur industrie. Elle a subi pareillement leurs statistiques, leurs comptes de fabrication, leurs prix de revient. Elle pouvait s’y attendre, puisque c’est le même procès qui s’agite, mettant en mouvement les mêmes intérêts et les mêmes plaideurs qu’en 1860 ; mais il lui était permis d’espérer qu’une partie, des arguties, maintes fois jugées et condamnées, qui allongent sans utilité les plaidoyers protectionnistes, lui seraient épargnées, que l’on n’imposerait pas à sa patience cette kyrielle de chiffres qui, même s’ils sont exacts, ne prouvent rien contre l’évidence des faits, et qu’elle ne serait plus sollicitée d’évaluer pour chaque industrie, pour chaque industriel, le prix de revient. L’argument du « prix de revient, » auquel on persiste à donner une si grande place dans cette discussion, doit être absolument écarté, attendu que s’il est possible d’établir pour une usine déterminée le compte de fabrication, il est impossible d’obtenir pour l’ensemble des usines se livrant à un travail semblable une moyenne qui soit d’une exactitude suffisante pour servir de base à la fixation d’un tarif général. Prenez deux filatures : le prix de revient de l’une n’est pas le prix de revient de l’autre. Tous les élémens de l’une à l’autre varient dans des proportions qui défient les calculs les plus scrupuleux : frais généraux, prix des matières, main-d’œuvre, transports, moyens de crédit, procédés et ressources de vente, tout diffère, même si la comparaison s’applique à deux établissemens placés en apparence dans des conditions égales. En outre, quel coefficient donner dans ce calcul à la personnalité de l’industriel qui dirige l’usine, à son expérience, à son habileté, à son activité, bref, à ses qualités morales et intellectuelles qui contribuent évidemment à faire varier le prix de revient ? Non, le législateur n’a pas à tenir compte d’un argument qui n’a de valeur que pour les intérêts particuliers et qui ne concerne à aucun degré l’intérêt public. Tout ce que l’enquête contient à ce sujet (et pour certaines industries l’enquête ne contient pas autre chose) doit être considéré comme nul et non avenu. La meilleure démonstration que l’industrie française peut travailler et vivre dans les conditions légales qui lui ont été faites par les tarifs de 1860, c’est qu’elle est encore debout, après avoir traversé de bons et de mauvais jours, survivant aux crises commerciales, financières, nationales, qui l’ont plus d’une fois éprouvée durant cette période de dix-neuf ans, survivant à la sentence de mort qu’elle avait prononcée contre elle-même, lorsqu’elle s’était crue menacée par la concurrence.

Il semble donc inutile d’analyser, même sommairement, cette