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crédit le moyen d’y pourvoir. Que nous parle-t-on d’un pays ruiné ? A quoi bon calculer, peser, mesurer ce qui a été importé et ce qui a été exporté sous l’œil de la douane et demander à une statistique pour le moins incertaine des argumens favorables ou contraires à une législation commerciale, alors que les faits, à la portée de chacun de nous, se chargent de fournir une démonstration plus éclatante que la lumière du jour ? Il est clair que, si le pays était appauvri par la réforme douanière, il aurait été absolument incapable d’augmenter ses dépenses intérieures, d’accroître ses épargnes et de résister aux calamités et aux crises qui l’ont soumis depuis 1870 à de si rudes épreuves ; ses économies réalisées auraient été bien vite absorbées, et il lui eût été impossible d’en reconstituer de nouvelles. — Il est donc permis de répondre aux protectionnistes qui crient à la ruine, d’abord que la ruine, fort heureusement, n’existe pas, et que l’activité du travail s’est traduite, au contraire, par de sérieux bénéfices, puis que cette activité et ces bénéfices coïncident avec l’extension de nos échanges avec l’étranger. La conclusion la plus modeste que nous puissions tirer de cet ensemble d’observations, c’est que les assemblées législatives, appelées à se prononcer sur le régime des tarifs, n’ont plus à revenir sur la réforme qui a été accomplie et que l’expérience ne leur fournit aucun motif, aucun prétexte pour retirer ou pour restreindre les franchises appliquées depuis près de vingt ans. La réforme de 1860 doit être mise hors de cause et tenue pour définitive.

Cette opinion est-elle contredite par les documens produits au cours des enquêtes qui ont été successivement ouvertes au sénat et à la chambre des députés ? C’est ce qu’il convient d’examiner.


II

L’enquête prescrite en novembre 1877 par un vote du sénat avait pour objet de « rechercher les causes des souffrances de l’industrie et du commerce, et les moyens d’y porter remède. » L’intérêt politique n’avait pas été étranger à la mesure. On était au lendemain des élections législatives, d’où était sortie une majorité contraire au ministère du 16 mai. Les promoteurs de l’enquête croyaient faire peser sur l’avènement de ce ministère la responsabilité de la crise industrielle. La composition de la commission de dix-huit membres, élue en séance publique, déconcerta ce calcul ; mais les protectionnistes ne laissèrent point échapper l’occasion d’engager la campagne à leur profit, et la nomination de M. Pouyer-Quertier comme président de la commission indiquait suffisamment