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enquêtes officielles. Le législateur ne cesserait pas un seul instant d’être éclairé par les principes, et il n’admettrait les exceptions qu’à la suite d’un examen rigoureux, tandis que, par le mode actuel, acceptant ou subissant tout d’abord comme un fait existant et acquis le tarif protecteur, il risque de perdre sa voie et de ne point rencontrer la lumière au milieu des arguties que lui opposent les coalitions d’intérêts particuliers. Les exceptions, c’est-à-dire les taxes indues ou exagérées, demeurent la règle, et la liberté du travail est encore une fois reléguée au second plan.

Quoi qu’il en soit, et sans insister davantage sur les démonstrations théoriques, il vaut mieux s’attacher à l’étude des faits qui doivent influer sur la rédaction de nos lois douanières et rechercher si le régime libéral, en matière d’échanges internationaux, est favorable ou nuisible à l’intérêt public. Il y a vingt ans, cet examen était difficile, et les réformes que sollicitaient les libre-échangistes pouvaient être contestées ; car la prohibition régnait encore dans la plupart des tarifs, et la concurrence entre les forces industrielles des différens pays ne s’exerçait que dans des proportions restreintes. On en était donc réduit de part et d’autre à des affirmations et à des dénégations sans preuves ; on discutait sur une hypothèse, et il était permis au législateur d’hésiter entre la confiance des partisans de la réforme et la défiance des partisans du régime existant. Il n’en est plus de même aujourd’hui. Le système libéral a franchi une première étape d’expérience ; la concurrence internationale a été tolérée, encouragée, pratiquée dans une plus large mesure ; on connaît les résultats de cet essai de réforme, et le débat s’appuie, non plus sur une hypothèse, mais sur les faits accomplis. L’opinion publique est donc en possession des argumens extérieurs qui, sans exclure les démonstrations doctrinales, sont de nature à l’éclairer le plus sûrement et à la fixer.

C’est en 1860 qu’a été conclu entre la France et l’Angleterre un traité de commerce, suivi, dans une courte période, de plusieurs conventions analogues entre la France et les principales nations de l’Europe. À partir de cette époque, le commerce extérieur de la France s’est considérablement accru. Les protectionnistes affirment que l’augmentation se produisait également sous l’ancien régime douanier et que, grâce au développement des chemins de fer, elle aurait atteint les mêmes chiffres par une gradation plus régulière. Cette assertion est peu admissible. Sans doute, même sous la prohibition, le commerce de la France, de même que celui de tous les pays, était en voie de progrès ; ce progrès était dû à l’amélioration des procédés industriels, au perfectionnement des moyens de transport et à l’augmentation de la richesse générale ; mais il