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au profit d’industries en souffrance, et ils admettaient que cette assistance du tarif ne devait être que temporaire. Non-seulement il n’y avait aucune opposition au renouvellement des traités, mais encore la grande majorité des chambres de commerce, y compris celles qui représentent la cause protectionniste, insistaient pour que nos rapports d’échange avec l’étranger fussent garantis par des conventions formelles contre les variations éventuelles des législations douanières. Dans ces termes, la rédaction d’un tarif général, reproduisant à peu près les taxes de 1860, paraissait devoir être facile et les négociations avec les cabinets étrangers pouvaient s’ouvrir efficacement. En quelques mois, tout a changé de face. Il est survenu, en France et en Europe, une crise industrielle et commerciale qui a partout amené un ralentissement très sensible du travail et des échanges ; la guerre d’Orient a prolongé cette crise en l’aggravant ; plusieurs gouvernemens, dont les finances sont obérées, ont résolu, à l’exemple des États-Unis, de se créer des ressources par l’augmentation des droits de douane. Les protectionnistes ont profité de ces incidens. En France comme ailleurs ils ont relevé leur ancien drapeau, sous l’invocation du travail national et de l’intérêt populaire. Ils ont prétendu que le libre échange avait compromis la prospérité du pays, provoqué la crise, préparé des désastres, que l’on devait, sans plus tarder, retourner aux saines doctrines qui avaient cours avant 1860, qu’il fallait, à défaut de prohibition, surtaxer les produits étrangers et défendre l’industrie par l’armure d’un bon et solide tarif, en renonçant à ces traités dans lesquels le gouvernement s’exposait à des concessions imprudentes et irrévocables. C’est ainsi que peu à peu s’est ranimée la querelle entre les deux systèmes de législation commerciale, entre la protection et le libre-échange. Les anciens adversaires, que l’on pouvait croire, sinon réconciliés, du moins retirés de la lutte active, se retrouvent en présence sur le terrain où ils ont naguère si ardemment combattu. Ils se rencontrent, comme autrefois, devant les commissions d’enquête ; ils reforment des associations et des ligues ; ils font retentir toutes les voix de la publicité. Rien de plus légitime que ces appels à l’opinion ; rien de plus utile, s’il doit en résulter, par la décision du parlement, un arrêt définitif sur la législation économique qui convient le mieux à notre pays et à notre temps.


I

S’il ne s’agissait que d’un principe, le procès entre le régime de la protection et le régime de la liberté des échanges serait bientôt