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rien à l’admirable système de défense imaginé par le génie militaire du commandant en chef. Montcalm ne gagnait rien sur l’entêtement systématique du gouverneur, qui voulait qu’on restât majestueusement concentré, qui répondait, en haussant les épaules, que Wolf ne trouverait jamais le moyen de remonter le Saint-Laurent avec sa flotte ! On abandonnait donc la rive gauche du fleuve ; c’était donner aux Anglais la faculté de s’établir et de commencer le siège de la ville, de frapper la colonie en plein cœur.

Le 23 juin 1759, la flotte anglaise jeta l’ancre derrière la Pointe de Lévi, dont la côte élevée la protégeait contre le canon de Québec. Un traître, dont il faut conserver le nom, Denis de Vitré, avait servi de pilote dans cette navigation difficile. Les troupes se cantonnèrent dans deux camps, l’un à la Pointe Lévi, l’autre dans l’Ile d’Orléans, en face des retranchemens de Montcalm. Wolf adressait aussitôt aux habitans du pays qu’il envahissait une proclamation où se manifeste plus la brutalité d’un reître que le tact d’un politique : « Si la folle espérance de nous repousser, disait-il, vous porte à nous refuser la neutralité que nous vous offrons, attendez-vous à souffrir tout ce que la guerre a de plus cruel. » Ce n’était pas une vaine menace ; mais ces accens farouches n’eurent pas de prise sur l’héroïque population, frémissante encore au souvenir de l’exode des Acadiens, que l’implacable politique de Pitt avait chassés de leurs maisons et de leurs terres. Dans le Canada, il n’y eut plus que des soldats pour vaincre ou mourir avec Montcalm.

Cependant Wolf avait établi des batteries à la Pointe de Lévi. Québec ressemblait bientôt à un vaste bûcher en feu. La population supportait stoïquement le bombardement. Du haut de la falaise, elle regardait, en serrant les poings, le feu qui dévorait les villages voisins : elle assistait en silence à la dévastation des maisons, des vergers, des champs ; elle attendait le jour de l’assaut pour se venger.

Quand Wolf eut reconnu que la temporisation était une tactique dont Montcalm ne se départirait pas, il fit traverser le Saint-Laurent par un corps de trois mille hommes, qu’il établit en face des retranchemens français, sur la rive gauche de la rivière Montmorency, près du village de l’Ange-Gardien. La rive, très escarpée, dominait les travaux français, et le ravin où coulait le Montmorency protégeait comme un fossé le camp des Anglais. En outre, deux gués, l’un à une lieue en amont, l’autre au confluent de la rivière et du fleuve, permettaient à Wolf de déboucher sur les lignes françaises. Cette position n’était pourtant pas une forte base d’attaque. Le rivage où devaient se former les troupes était vaseux, la côte à gravir très abrupte et balayée par le feu du retranchement qu’on était obligé d’aborder de front ; enfin, après la prise des travaux