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Montcalm a deviné la stratégie des Anglais ; il donne l’ordre de défendre vigoureusement le fort Niagara, et envoie Bourlamaque, dont il est sûr, occuper avec trois mille hommes l’entrée de la rivière Richelieu, étroite issue des eaux du lac Champlain, vers le Saint-Laurent. Lui-même se réserve le poste principal, Québec. Il y concentre toutes les forces disponibles, environ douze mille hommes. Située à l’angle d’une presqu’île formée par le Saint-Laurent et la rivière Saint-Charles, bâtie sur un cap élevé qui domine le fleuve et dont les falaises gigantesques se prolongent pendant un long parcours sur le Saint-Laurent, Québec, à l’abri de ce mur de rochers, pouvait mépriser toutes les attaques. Les points faibles de la place, c’était d’une part le rivage de la rivière Saint-Charles, d’un accès facile pour l’assaillant, c’était, d’une autre part, le front qui regardait la terre. Ce côté-là, qu’on appelait la plaine d’Abraham, était dépourvu de fortifications. Il était donc de toute nécessité d’empêcher la flotte ennemie de dépasser Québec et de débarquer des troupes dans quelque fissure de la falaise ; il fallait encore mettre obstacle à tout mouvement qui aurait eu pour résultat l’occupation de la plage Saint-Charles par les troupes anglaises, maîtresses, par cette manœuvre tournante, des plaines d’Abraham et de la ville elle-même. Montcalm, qui voyait nettement le mécanisme de la défense, faisait construire des redoutes sur les Tochers qui surplombent le fleuve, aux points où les eaux pluviales, à force de glisser sur la pierre, avaient tracé des sentiers que des soldats décidés pouvaient à la rigueur gravir. Sur la rive droite du Saint-Laurent, il édifiait une ligne de retranchemens, coupée ça et là de blockhaus ; partant de la rivière Saint-Charles, elle suivait parallèlement le fleuve pour se terminer à 8 kilomètres de là sur les crêtes d’un ravin où coulait le torrent de Montmorency. Un pont de bateaux jeté sur la rivière Saint-Charles et protégé par un ouvrage à cornes mettait le camp retranché en communication avec Québec.

Pour que cette fortification fût à toute épreuve, il eût été de nécessité rigoureuse d’occuper fortement sur la rive gauche du Saint-Laurent, en face Québec, une position appelée la Pointe de Lévi. Une ou deux redoutes qu’on y eût élevées, c’en était assez pour rester à la fois maître de la navigation du fleuve et empêcher l’ennemi d’avancer ses batteries assez près de la ville pour la bombarder. Il eût fallu ensuite commander la passe de l’île d’Orléans par des terrassemens garnis d’artillerie. Il était nécessaire enfin de placer une redoute en face l’île aux Coudres, pour couvrir de feux l’endroit où les navires qui remontent le fleuve sont forcés de jeter l’ancre et d’attendre le flux qui pousse sur Québec.

Malheureusement l’incapable, le sot Vaudreuil ne comprenait