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formèrent au pied de la colline et, au son des cornemuses et des fifres, grenadiers en tête, tirailleurs sur les flancs, elles s’élancèrent sur les pentes que couronnait l’armée française. Le ciel était radieux, le soleil brûlant ; Montcalm, en constatant l’absence de l’artillerie anglaise, jeta son habit, d’un air de belle humeur, en s’écriant : « Allons, mes amis, la journée sera chaude. » Une acclamation enthousiaste s’éleva des rangs français.

La gauche fut la première attaquée par deux colonnes, dont l’une cherchait à tourner le retranchement, tandis que l’autre l’abordait de front. Le centre supportait l’effort de la troisième colonne. Quant à la quatrième, elle dessinait son mouvement vers la droite. Lorsque les Anglais arrivèrent à soixante pas de nos lignes, leur ordre, brisé par les arbres couchés de toutes parts, n’avait plus cette cohésion qui rend les charges redoutables. Un nuage de fumée entrecoupé d’éclairs couvrit la crête du plateau. Une décharge éclata, puis une seconde, puis une troisième, suivies d’une fusillade irrégulière, mais sans trêve. Les colonnes s’arrêtèrent sous ce feu terrible, et, pour ne pas avancer dans cette fournaise, elles firent comme les troupes qui mollissent, elles ripostèrent. Les Anglais reculaient, laissant le terrain jonché de morts et de mourans. Ils se reformèrent en bas du mamelon et, avec des hurrahs, recommencèrent l’escalade. En quelques endroits, ils arrivèrent jusqu’au fossé des retranchemens, sans pouvoir le franchir, toujours repoussés par le feu des Français, lequel était si fort que parfois les remparts de bois s’enflammaient et qu’il fallait jeter sur ce brasier de l’eau en abondance. A la droite, M. de Lévis, profitant de l’impossibilité où était l’ennemi de déborder notre aile, lançait tout à coup les Canadiens sur le flanc de la colonne qu’il avait devant lui et la rejetait brisée sur la lisière des bois. Les assauts se succédaient sans relâche, plus furieux, plus désespérés. Les masses anglaises se précipitaient sur la redoute, s’y brisaient, retombaient, pour se précipiter de nouveau et retomber encore. Sur les cinq heures, des régimens anglais, pour échapper au feu du Royal-Roussillon, se rejetaient dans un mouvement désordonné sur le saillant que défendait Guyenne et, par un hasard terrible, les bataillons qui avaient attaqué la droite s’y rejetaient aussi. Les Anglais allaient sauter dans la redoute, quand Montcalm accourut avec les grenadiers, suivi de Lévis qui amenait des renforts de la droite. Le combat se rétablit, grâce à ces secours, et les ennemis éprouvèrent une résistance qui arrêta enfin leur ardeur. La lutte continua sur tous les points jusqu’à sept heures, avec des reprises, des retours offensifs acharnés. Electrisées par leur chef, les troupes françaises ne faiblirent pas un moment, et dans les sorties qu’elles firent montrèrent une admirable bravoure et une impétuosité terrible.