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glacis. Pour racheter cette négligence et empêcher l’ennemi d’établir des batteries sur cette colline, d’où l’on dominait la place, les Anglais avaient pris le parti d’y établir un camp retranché.

Montcalm, d’accord avec le gouverneur, avait rassemblé à Carillon une armée de huit mille hommes et le matériel de siège. Il lançait quelques reconnaissances en avant autant pour s’éclairer que pour écarter l’ennemi et présidait au départ des troupes. On ne pouvait s’embarquer à Carillon ; il y avait des cataractes à franchir ; c’était donc un portage d’environ six lieues à effectuer. Les brigades, lieutenans-colonels en tête, se relevaient-pour cet ouvrage long et pénible, qu’on ne termina que le 1er août. Montcalm détacha le chevalier de Lévis avec un corps de deux mille hommes pour s’avancer par terre jusqu’à la baie de Ganaoustré, à 16 kilomètres de William-Henry. Le reste de l’armée devait gagner le même point par eau, La jonction se faisait sans coup férir ainsi que le débarquement.

Montcalm reconnut l’impossibilité d’investir, avec une armée aussi faible que la sienne, le camp retranché et le fort. Il donna l’ordre d’asseoir le camp de l’armée. La gauche appuyée au lac, la droite à des ravins inabordables. On tenait ainsi sous une même ligne de tir le fort et les retranchemens de la colline. Lévis, avec ses brigades et ses sauvages, fut chargé de couvrir la droite, d’envoyer ses éclaireurs sur le chemin du fort Lydius, et par des mouvemens continuels de faire croire à l’ennemi que l’on occupait solidement cette communication. Montcalm décida que l’attaque se prononcerait sur le front nord-ouest du fort. La tranchée s’ouvrit dans la nuit du 4 au 5, à travers un terrain embarrassé de troncs d’arbres et d’abatis, qui forçaient de se servir de la hache et de la scie. Dans la nuit du 5 au 6, on put armer les batteries de gauche et de droite de la parallèle ; la première battait en écharpe le côté du fort qui regardait les bois, et envoyait des projectiles dans la redoute de l’éminence ; la seconde, tirant par-dessus les eaux du lac, prenait en enfilade le rempart exposé aux coups de la première. Les détonations des pièces soulevaient des hurlemens d’enthousiasme chez les sauvages, qui n’avaient jamais entendu parler les gros fusils.

Les défenseurs du fort supportaient le bombardement sans faiblesse, mais non sans inquiétude ; à la pensée d’une prise d’assaut, ils sentaient leur chair frémir. Tous connaissaient la cruauté des sauvages, des chiens de guerre de Montcalm. Il y avait sur les atrocités de ceux-ci une foule de légendes qui revenaient spontanément à l’imagination des assiégés. Tous prêtaient l’oreille, espérant entendre le canon de Webb, qui annoncerait le secours. Le commandant, un vieil officier, Munrow, très brave, très dévoué,