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résister. Notre grand Onnonthio, — le roi, — m’a sans doute envoyé pour vous protéger ; mais il m’a surtout recommandé de vous rendre heureux et invincibles. Vous le serez si vous conservez entre vous la concorde, si vous vous aidez mutuellement dans les entreprises qui se font pour le bien commun, puisque vous êtes des frères et les enfans du grand Onnonthio. » S’inspirant des usages indiens, il montra à l’assemblée un collier symbolique formé d’innombrables petites coquilles et continua en élevant la voix : « Ce collier est le gage sacré de ma parole ; l’union qu’il y a entre les différens grains qui le composent est l’image de la bonne intelligence qui règne entre vous et de votre force. Je vous lie les uns aux autres de manière que vous ne puissiez pas vous quitter et que vous ne vous sépariez pas avant la défaite de l’ennemi. » Il lança alors au milieu de l’assemblée le collier d’alliance. Un chef ottawais, Pennahoel, qui portait sur sa robuste poitrine la décoration donnée par la France à la bravoure indienne, le releva le premier et, le tenant au-dessus de sa tête : « Voilà maintenant, s’écria-t-il, un cercle tracé autour de nous par le grand Onnonthio. Qu’aucun de nous n’ait le malheur d’en sortir. Si nous y restons, le Maître de la vie nous protégera ; il nous inspirera nos actions et fera réussir nos entreprises. Si quelqu’un en sort avant le temps, le Maître de la vie lui refusera son secours. Mais que cette malédiction lui soit personnelle ! qu’elle ne retombe pas sur toutes ces nations, qui veulent former une union que rien ne puisse rompre et obéir toujours à la volonté de leur père ! » La foule était frémissante ; l’enthousiasme brillait dans tous les yeux. Les mains se crispaient sur les couteaux et les haches. Puis du sein de cette masse humaine, en qui s’éveillaient toutes les fureurs de la guerre, s’éleva une voix vibrante qui, sur un rythme lent, entonna l’invocation aux esprits protecteurs des guerriers : « Manitous, Manitous, vous tous qui êtes dans les airs et sous nos pieds, détruisez nos ennemis, livrez-nous leurs dépouilles et ornez nos cabanes de leurs chevelures sanglantes. » Des applaudissemens furieux, des cris confus, des hurlemens féroces répondirent à ce chant. Tous les sauvages bondirent à la fois, et, brandissant leurs armes dans un infernal tourbillon, s’ébranlèrent pour la danse de guerre. Montcalm pouvait avoir confiance en ses alliés ; le démon de la bataille était leur maître. Le général n’allait pas laisser cet enthousiasme se refroidir.

Il avait résolu d’assiéger le fort William-Henry. Située à l’extrémité sud du lac Saint-Sacrement, cette forteresse avait une haute importance stratégique ; c’était une clé de la route de Québec. Par une faute assez singulière des ingénieurs anglais, au lieu de bâtir le fort sur une éminence voisine qui s’élève du milieu des marais, on l’avait construit sur le bord du lac, dont le flot venait battre le