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arrêter les tentatives du général de Lawdon, qui avait concentré douze mille hommes, sur l’Hudson, à Albany, à l’ouest de Chouegen. Montcalm voulait faire croire que l’armée se rassemblait à Carillon ; il s’y rendait avec grand bruit et lançait dans toutes les directions ses sauvages coureurs dont il s’enveloppait comme d’un rideau. Leurs barbares exploits donnaient bientôt à penser au comte Lawdon que ces incursions n’étaient que le prélude d’une offensive de Montcalm ; aussi restait-il sur le qui vive et ne s’éloignait-il pas d’une semelle des forts William-Henry et Lydius, objectif des Français selon lui. Montcalm, dès qu’il sait le général ennemi fourvoyé, quitte brusquement Carillon, court vers Frontenac, éloigné de plus de cent lieues. Il y trouve treize cents hommes de troupes, quinze cents Canadiens et deux cent cinquante sauvages, avec l’artillerie et le matériel de siège. À peine arrivé, il isole Chouegen par une croisière sur le lac et par des partis de Canadiens et de sauvages lancés sur la route de la Nouvelle-York. Il embarque ses troupes, les divise en deux corps, et les dirige l’un au nord, l’autre au sud de la place, qu’ils n’ont qu’à contourner pour l’investir. Les ténèbres et le silence favorisèrent cette opération. Dans la nuit du 10 août, Montcalm établissait son camp devant la forteresse.

Les ouvrages défensifs de Chouegen consistaient en trois forts détachés. Le premier, le fort Ontario, élevé au centre d’un plateau, dans l’angle formé par la rivière Osvego ou Chouegen, formait un carré de soixante mètres de front, avec des redans sur chaque face. Le second, c’est-à-dire Chouegen, sur la rive gauche, avait une grosse muraille crénelée. Le troisième, le fort Georges, n’était qu’un mauvais retranchement de pierre et de terré. Seize ou dix-sept cents hommes des régimens de Shirley, Peppereel et Schuyler défendaient ces trois postes sous les ordres du colonel Mercer.

L’armée française rencontrait toute sorte de difficultés dans le transport du matériel. Il fallait faire une route à travers un terrain marécageux et boisé. Montcalm cependant reconnaissait la place et choisissait le point d’attaque. On ouvrait à minuit la tranchée, et, malgré la difficulté du terrain proclamé impraticable par les ingénieurs anglais, au matin la parallèle était dans un bon état d’achèvement ; on y établissait les batteries. L’échange de projectiles durait depuis le matin, et les lunettes françaises pouvaient contempler les témoignages évidens de l’action de l’artillerie sur les fortifications ennemies, lorsque vers six heures du soir, le colonel Mercer, qui craignait un assaut imminent, se décida à évacuer une position compromise. Après avoir encloué les canons, à la tête des troupes abattues par cette retraite, il traversa la rivière, avec l’espoir de concentrer la défense dans les forts Chouegen et Georges, laissant un corps pour garder le plateau qui assurait la communication entre