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la mort plutôt que d’y renoncer. C’était un crime irrémissible pour Pline le Jeune. « Quels que soient les faits qu’ils avouent, écrit-il à Trajan, je n’ai pas hésité à penser que leur obstination et leur inflexible entêtement méritaient d’être punis ; » et il les envoyait au supplice parce qu’ils refusaient d’être parjures. Celse parle d’une autre façon : « Je ne saurais, dit-il, leur reprocher leur fermeté. La vérité vaut bien qu’on souffre et qu’on s’expose pour elle, et je ne veux pas dire qu’un homme doive abjurer la foi qu’il a embrassée ou feindre de l’abjurer pour se dérober aux dangers qu’elle peut lui faire courir parmi les hommes. » Ce sont là, il faut le reconnaître, de nobles sentimens, qui montrent une étendue et une liberté d’esprit singulières chez un contemporain de Fronton.

Celse a été pourtant bien sévère, bien injuste pour les chrétiens, et cette sévérité, qui l’entraîne à des erreurs étranges, paraît assez surprenante chez un esprit qui avait d’abord semblé si large et si éclairé. Peut-on tout à fait l’expliquer par l’ardeur de ses convictions et les exigences de sa foi ? Je ne le crois pas. Les plus intolérans, dans les querelles religieuses, sont d’ordinaire les sceptiques et les dévots, les premiers parce qu’ils ne comprennent pas qu’on ait une opinion, les seconds parce qu’ils ne peuvent pardonner qu’on en ait une autre qu’eux. Or Celse n’est pas un sceptique, comme Lucien, ni même un indifférent. M. Freppel s’est étrangement trompé quand il fait de lui, comme de Voltaire, un matérialiste acharné à détruire le christianisme, sans avoir aucune doctrine philosophique à lui substituer. Il a au contraire des idées bien arrêtées et tout un système de croyances ; mais ce n’est pas non plus un fanatique. Il croit, comme tous les sages de l’antiquité, à l’existence d’un Dieu unique, qu’il retrouve dans toutes religions du monde. « Qu’importe, dit-il, qu’on l’appelle Jupiter, ou le Très-Haut, ou Adonaï, ou Sabaoth, ou Ammon, comme les Égyptiens, ou Pappæos, comme les Scythes ? » Sous ces dénominations diverses, c’est le même Dieu que le monde entier adore. Ce Dieu, pour Celse, est le Dieu des philosophes, surtout celui de Platon. Il réside au ciel, et ne peut pas en être descendu, ainsi que le prétendent les chrétiens, pour s’incarner dans un homme. « Prenons les choses de haut, dit-il, et raisonnons un peu Dieu est bon, beau, heureux ; il est le souverain bien et la beauté parfaite. S’il descend dans le monde, il subira nécessairement une déchéance, sa bonté se changera en méchanceté, sa beauté en laideur, sa félicité en misère, sa perfection en une foule de défauts. Qui donc voudrait changer de la sorte ? Une altération de cette espèce est compatible sans doute avec une nature mortelle, mais l’essence immortelle doit demeurer nécessairement identique et immuable. J’en conclus qu’un pareil changement ne