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À la nouvelle de la disparition de Montcalm, c’est comme un deuil dans l’état-major français ; on se sentit soulagé quand on apprit qu’il n’était que blessé. On le comprit dans le premier échange et il revint à Paris, triste de ce qu’il appelait son malheur, un peu inquiet de la mine qu’on allait lui faire, enragé surtout d’avoir été pris. Il s’en excuse dans ses lettres : « Si je suis pris et sabré, disait-il avec une sublime naïveté, c’est pour avoir voulu tenir ferme. » En vrai soldat, il n’est préoccupé que de cette idée, l’inadmissibilité d’une reddition. Il oubliait que les blessures l’empêchaient encore de marcher. Ces coups de sabre étaient comme le sceau à sa réputation. Dans la lumière des salons dorés de Versailles, on présentait à Louis XV le jeune colonel, pâle encore et un peu alangui, mais gardant au front le reflet d’acier des batailles. Le roi, avec son affabilité et son abandon de haute race, trouva quelques paroles aimables qui allèrent au cœur du soldat. Celui-ci ne s’écriait pas, comme Mme de Sévigné en présence d’une autre majesté : « Quel grand roi nous avons, le roi m’a parlé, » avec moins d’esprit il écrivit bonnement, en homme ému, « le roi est bon. » Peu après la présentation, on le nommait brigadier.

Les circonstances sont bien changées pour Montcalm. Les chefs de corps cherchent à se l’attacher ; on lui fait presque la cour. On encadrait le régiment d’Auxerrois dans le corps du chevalier de Belle-Isle, désigné pour forcer un des passages des Alpes, le col de l’Assiette. L’opération était plus que téméraire. Une balle, tirée à bout touchant, frappa Montcalm au front. Les soldats d’Auxerrois, faisant retraite, emportèrent leur colonel.

À la paix, Montcalm revenait brigadier avec un nom et de la gloire. Il n’avait donc pas à se plaindre. On distingue pourtant en lui quelque secret malaise. Cette inaction, où l’on reste trop souvent avec de fortes armées, ce ralentissement d’ardeur et de mouvement qui indique dans les troupes une lassitude secrète, cet abaissement des talens militaires chefs les généraux, la rareté des caractères, — un ou deux subsistent dans cette foule de médiocrités comme pour mieux en accuser l’insuffisance, — tout cela l’effraie au point qu’avec son sentiment élevé du rôle de l’armée il ne veut pas prendre la responsabilité du silence. À son retour en France, après sa nomination de mestre de camp, il se préoccupe activement des projets en cours sur la réorganisation de nos forces militaires. Il a vu Frédéric à l’œuvre ; il est plein d’idées de réforme dans les manœuvres et la tactique. Il sent toute l’importance du retranchement ; c’est pour lui l’ultima ratio de la guerre. Il envoie donc des mémoires à d’Argenson, qui les lit, et l’assure qu’il en comprend les conséquences et l’utilité ; mais le ministre oublie de mettre à exécution les projets de Montcalm.