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c’était un puissant du jour, c’était Chauvelin. L’énergie du garde des sceaux, sa force d’âme, la hardiesse de ses plans, son air de ministre à la Louvois, et par-dessus tout sa volonté de replacer au premier rang la France en passe de devenir ridicule sous le poids de la politique bourgeoise de Fleury, exercèrent sur Montcalm une vive attraction.

Chauvelin avait peut-être tout d’abord pensé à placer Montcalm près du roi, dans cette troupe de jeunes gens qu’on appelait les Marmousets et dont il se servait pour dégourdir Louis XV. Ce ne fut en tout cas chez le ministre qu’une velléité. Chauvelin, qui se connaissait en hommes et ressentait fortement l’ascendant des grandes âmes, comprit que son jeune ami n’était pas fait pour le métier de complaisant. Le capitaine de Hainaut-Infanterie gardait au milieu des salons de Versailles l’attitude résignée et mélancolique du soldat à qui on a arraché le fruit de la victoire, et cette patriotique tristesse, qui assombrissait les traits de Montcalm à la pensée des préliminaires de Vienne, allait au cœur de Chauvelin. Le ministre, ulcéré de la reculade que les alarmes de Fleury lui avaient imposée, voyait dans ces sentimens de Montcalm comme le reflet de l’opinion de l’armée, comme le gage d’une revanche future. Une amitié sincère s’établissait donc entre ces deux caractères, un peu respectueuse du côté de l’officier, toute paternelle du côté de l’homme d’état.

Montcalm faisait-il fond, pour parvenir, sur cette liaison avec le dispensateur des grâces ? Obtenir un grade par l’intrigue et la souplesse, il n’y pensait même pas. Pour arriver, il se fiait à sa valeur. Attendre de la confiance du ministre un poste au péril lui semblait tout naturel et digne de lui. S’en remettant sur l’amitié et le courage, inspiré aussi par les généreux élans de la pudeur juvénile, il comptait sur le temps et ne demandait rien. Il n’en retira d’autre profit que de conclure un heureux mariage. Ce fut en effet Chauvelin qui lui fit épouser Angélique Talon du Boulay, la petite-fille de Denis Talon. L’amour régna dans le ménage. L’amour au foyer d’une famille, au temps de Louis XV, n’est-ce pas piquant ? Au fond, c’était encore la loi commune… ailleurs qu’à la cour.

Les jours heureux furent de courte durée. La nouvelle de la disgrâce de Chauvelin s’abat sur Montcalm et le jette dans une période d’inquiétudes et de chagrins cuisans. Il ressentit fortement tout ce qu’il y avait d’amer dans cette défaite des idées de grandeur et d’ambition nationale. Et ce n’était pas le seul aliment de ses angoisses ; il craignit bientôt pour sa carrière menacée. Qu’attendre du nouveau ministère ? Ne poursuivra-t-il pas les amis de Chauvelin ? Obtenir un régiment, il n’y fallait plus penser. Malgré les