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est la défense du trône. Aussi dans ce château de Candiac, où le maître n’apparaît que rarement, lorsque la guerre lui laisse des loisirs, où il vient pour être époux et père, revoir ceux dont le souvenir l’a suivi au combat, mais où il garde l’air mélancolique du soldat qui sait que les joies du foyer seront courtes, la vie est-elle sévère et les premiers mots qui frappent les oreilles des enfans sont-ils ceux d’abnégation et de sacrifice. La vive gaîté de la Provence venait heureusement tempérer ce que cette éducation avait de stoïque et de rude pour de jeunes âmes.

C’est dans ce milieu qu’allait grandir l’enfant qui venait de naître. Il reçut une éducation forte. Il arrivait à posséder vite assez de grec pour lire couramment Plutarque, qui devenait son auteur favori. A quatorze ans il obtint le brevet d’enseigne dans le régiment de Hainaut-Infanterie, où son père était lieutenant-colonel. Ce fut une forte école. Aussi à vingt-deux ans, quand on lui laisse acheter une compagnie, il offre déjà le type du vrai soldat, doublé d’un homme à l’âme délicate et haute. Cet âge, qui est, selon l’expression de La Rochefoucauld, comme une fièvre de la raison, il le traversait sans trop de peine, mais non sans lutte ; ses passions sont vives, son cœur ardent. Il est, lui qui a toujours vécu sous une règle sévère, en garnison dans une ville de plaisir, à Strasbourg, entouré de jeunes officiers toujours en joie et toujours en fête. Ce milieu, plein de dangers et de séductions, l’attire et le grise. Le jeu exerce sur lui une fascination extraordinaire ; c’est comme une frénésie. Mais bientôt la raison lui dit qu’il était fait pour d’autres luttes que celles qu’on soutient devant un tapis vert. Ce fut un peu comme dans toutes les conversions. Il eut une légère honte de lui-même, et, craignant une rechute, pour s’affermir, il se renferma dans la solitude et le travail. Il se livre alors à l’étude avec une ardeur égale à celle que naguère il montrait au jeu. Il lit Aristophane, Sophocle, Eschyle, Hérodote, et dévore en quelques mois plus de grec « qu’il n’en a digéré en dix ans. » Il apprend aussi l’allemand, et tous ces travaux ne l’empêchent pas de se perfectionner dans la tactique et dans la stratégie. Cette épreuve le laissait donc moralement plus fort, il venait d’apprendre à se dominer. La guerre de la succession de Pologne ne lui offrit point l’occasion de se distinguer. Elle ne lui enseigna que la patience. A la paix, la vie de garnison recommençait pour Montcalm, vie un peu monotone qu’occupent seules ses lectures et qu’un voyage à Candiac ou parfois à "Versailles vient animer un peu. C’est dans une de ces rares excursions à la cour qu’il se lia avec deux hommes dont la situation dans le monde était bien différente. L’un était un militaire, le marquis de. La Fare ; Montcalm l’aima comme un père. L’autre,