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territoire indiqué par le congrès, mais que dans quelques années, l’année prochaine peut-être, elle demandera encore une nouvelle extension de frontières. S’il devait en être ainsi, la Turquie serait en droit de rompre tout pourparler. Mais les déclarations du cabinet d’Athènes de s’en tenir strictement aux stipulations du congrès de Berlin sont bien précises, et elles méritent d’autant plus d’être acceptées de bonne foi que le gouvernement grec déclare franchement qu’il ne renonce pas pour cela aux droits de la Grèce sur la Crète, la Macédoine, la Thrace. Il ne cache pas que le jour où de nouveaux événemens auraient forcé les Turcs à lever le camp qu’ils ont établi en Europe, il serait prêt à faire valoir les droits de l’hellénisme contre les prétentions du slavisme. Mais, dans l’état actuel de l’Orient, le gouvernement grec s’engage à ne rien réclamer de plus que les nouvelles frontières fixées par le congrès.

L’intérêt de l’Épire et de la Thessalie à leur annexion à la Grèce est manifeste. Les avantages que trouvera la Grèce dans l’agrandissement de son territoire n’est pas moins évident. Les gros revenus que, dans quelques années, elle tirera de ces deux provinces modifieront singulièrement sa situation économique, et le renfort apporté à sa population par trois cent mille individus simplifiera, on le peut espérer, sa situation politique. La Grèce d’aujourd’hui est une grosse tête sur un petit corps, un état-major avec peu de soldats. Les carrières politiques y sont encombrées non-seulement par les Grecs du royaume, mais encore par les Grecs de la Turquie qui, ne pouvant pas satisfaire à Constantinople leurs appétits de ministère ou de surnumérariat, affluent à Athènes. En Grèce, abondance de têtes, de là turbulence et compétitions ; manque de bras, de là pauvreté et difficultés de toute sorte. La Grèce ne trouvera pas dans les populations agricoles de la Thessalie beaucoup d’hommes politiques, mais elle y trouvera des travailleurs et des producteurs. Ainsi l’équilibre sera rétabli. L’état-major, qui aura enfin des soldats, deviendra une armée forte et disciplinée. Les conditions du pays seront modifiées. On sait que le prince Léopold, plus tard roi des Belges, refusa d’accepter le trône de Grèce, disant que les frontières faites au nouveau royaume n’étaient pas assez étendues pour que l’état pût vivre dans des conditions normales. Ces frontières qu’on n’a pu faire à la Grèce en 1830, on peut les lui faire aujourd’hui. Qu’on donne donc à la Grèce, avec l’Epire et la Thessalie, les moyens de vivre, qu’on lui concède le droit à la vie. La cause de la civilisation et le principe des nationalités, d’accord ici avec le bien des populations, imposent le retour à la Grèce de ces deux provinces.


HENRY HOUSSAYE.