Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/861

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

raïas que les Turcs assassinaient et non des consuls français et allemands, on n’en faisait pas de bruit. Les fonctionnaires turcs, sans force d’ailleurs contre des troupes de plusieurs centaines d’hommes, ne pouvaient réprimer leurs désordres. Ils restaient les témoins impassibles de ces crimes quand, fanatisés par la guerre sainte, ils n’y encourageaient pas les bachi-bozouks.

On conçoit donc bien que ce n’est point seulement le patriotisme et les sentimens panhelléniques qui portent les sujets grecs de la Porte à aspirer au régime de liberté et de sécurité de la Grèce. Il faut le remarquer, et c’est là surtout ce qui doit engager les puissances européennes à imposer la rectification de la frontière grecque, les Grecs de la Turquie ne demandent pas l’annexion avec moins d’ardeur que les Grecs du royaume. Les uns et les autres ne font qu’un même vœu, n’expriment qu’une même volonté. Quand les Grecs sont entrés sur le territoire turc, en 1854 et en 1878, ils étaient appelés par les raïas. La Grèce n’a jamais prêché la révolte ni en Turquie ni dans l’île de Crète. Les troubles, les prises d’armes, les insurrections y ont été suscités par l’oppression ou les cruautés des Turcs. Une fois les premiers coups de feu tirés et les massacres commencés, le gouvernement grec a dû parfois fermer les yeux sur les agissemens des comités patriotes d’Athènes, sur les envois d’armes et les enrôlemens de volontaires ; mais au moins n’était-il pas coupable d’avoir fomenté l’insurrection.

La Thessalie et l’Épire sont entièrement peuplées de Grecs. Il n’y a pas un vingtième de la population qui soit musulmane. Dans quelques villes, à Salonique, à Larisse, à Trikkala, et dans les régions de l’Ossa et de l’Olympe, on trouve quelques Turcs. Dans le reste du pays et dans les autres villes, il n’y a en fait de musulmans que les fonctionnaires. Pour les Slaves et les Albanais, on sait qu’ils ne commencent à apparaître que vers les Balkans et dans la haute Albanie. L’Épire et surtout la Thessalie sont plus fertiles que les provinces de la Grèce propre. Le pays est plus boisé, de la plus humide. Les rivières, les cours d’eau ne tarissent point en été. Il y a des forêts, des vergers, des vignes, de gras pâturages, et toute la plaine de Thessalie est abondante en céréales. Bien que la Turquie, fidèle à son principe : Ne t’aide pas, le ciel t’aidera, ne fasse rien pour l’agriculture, les raïas de Thessalie ont de belles récoltes à cause de la fécondité du sol. La Thessalie passe pour un des greniers de la Turquie ; ne serait-elle pas à plus forte raison le grenier de la Grèce ? Certes le pays produit beaucoup, mais sa production ne doublerait-elle pas, sous l’influence de la liberté, avec le régime équitable d’un état européen qui rend aux provinces en routes, en travaux publics et en sécurité, les impôts qu’il y perçoit ? L’initiative et l’activité des laborieux habitans de