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éprouvait pour les chrétiens empêchait d’étudier sérieusement leurs doctrines ; aussi, dans ces premières années, les écrits et les discours de ceux qui les attaquaient devaient-ils contenir plus d’injures que de raisons. Celse eut le mérite de comprendre que le temps des injures vagues était décidément passé. On pouvait détester le christianisme ; il n’était plus possible de le dédaigner : ses conquêtes rapides effrayaient tout le monde. Baur a raison de dire que la façon sérieuse dont Celse le traite, les études qu’il a faites et la peine qu’il se donne pour le confondre indiquent assez les préoccupations qu’il causait dès lors aux hommes d’état et aux esprits sensés. Tous ceux qui se sont occupés de Celse dans ces dernières années, M. Keim, M. Aubé, M. Pélagaud, rendent, hommage à sa science profonde. Il connaissait parfaitement la Bible, ce qui lui a permis d’user dans son livre d’un artifice ingénieux de controverse : comme un païen pouvait être suspect d’ignorance ou de prévention, il y a introduit un docteur juif qui argumente tour à tour contre Jésus et les chrétiens. La façon dont il le fait parler, les raisonnemens qu’il lui prête, prouvent qu’il était tout à fait au courant de la polémique juive contre le christianisme. Il a lu les évangiles et les épîtres de Paul, dont il cite textuellement quelques passages. M. Pélagaud pense qu’il a dû profiter beaucoup des écrits de saint Justin. Qui sait s’il n’était pas présent aux luttes du saint apologiste contre le cynique Crescens ? C’était une fête pour un curieux comme lui, et soyons sûrs que, s’il se trouvait à Rome, il n’a pas manqué d’y assister. Il s’est faufilé sans doute dans les réunions de toutes les églises dissidentes. Il connaît si bien les diverses sectes des gnostiques, les marcelliniens, les harpocratiens, les marcionites, etc., que son érudition embarrasse Origène lui-même. Pour étudier le christianisme orthodoxe, qu’il appelle « la grande église, » il s’est entretenu avec des prêtres, il a lu des livres obscurs de controverse, il a fait parler des bavards, en sorte qu’il peut dire d’un ton de satisfaction visible : « Je sais tout ce qui se fait et se dit parmi eux ! »

En approchant les chrétiens de plus près, il dut sentir beaucoup de ses anciennes préventions se dissiper. Le fait est que, quelque sévère qu’il soit pour eux, on ne retrouve plus chez lui les accusations ridicules qu’on avait jusque-là répétées. Il n’est plus question du dieu à tête d’âne qu’ils adorent, des incestes qui se commettent dans leurs réunions, et des petits enfans qu’ils mangent pendant le repas sacré. Il n’affirme pas non plus sans aucune preuve, comme Tacite, que ce sont des gens « détestés pour leurs abominations et qui méritent le dernier supplice ; » au contraire, il avoue « qu’il en est parmi eux dont les mœurs sont honnêtes et qui ne manquent pas de lumières. » Ce qui est bien plus remarquable encore, c’est qu’il ne songe plus à leur reprocher d’être fidèles à leur foi et de braver