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l’état aux plus grands périls. Un Grec n’éprouverait pas autant de passion pour la grandeur et la durée de l’empire. Ils ont beau célébrer d’un ton lyrique les mérites du peuple qui les a vaincus et s’évertuer à flatter leurs maîtres, sous leurs protestations les plus bruyantes d’admiration et d’obéissance se cache toujours un sentiment de dédain ou un levain d’envie. Il est donc très probable que Celse était un Romain de naissance, ou tout au moins un de ces Grecs, comme Dion Cassius, que leurs liaisons, leurs habitudes ou leur séjour dans les fonctions publiques avaient faits Romains de cœur.

Mais ce Romain n’avait pas tous les préjugés de son pays : il ne se contentait pas d’aimer la philosophie grecque et de la connaître à fond, sa curiosité s’étendait à tout. Origène, qui le loue le moins qu’il peut, est bien forcé de l’appeler « un homme très savant et fort instruit. » Quoiqu’il fût un zélé conservateur et qu’il se retournât volontiers vers le passé, il s’enquérait aussi des choses nouvelles. Alors, comme aujourd’hui, les problèmes religieux préoccupaient beaucoup les esprits. Il y avait des gens qui ne se contentaient pas de les étudier, comme les anciens sages, par des réflexions et des méditations solitaires ; ils couraient le monde pour connaître de plus près les religions des divers peuples, ils visitaient tous les temples, assistaient à toutes les fêtes et se faisaient initier à tous les mystères. Tels étaient Apulée et ce Cléombrote de Samos dont Plutarque nous dit qu’il avait parcouru l’Égypte et les bords de la Mer-Rouge « non pour faire le commerce, car il était riche, mais pour rassembler les élémens de ses études théologiques. » Celse a-t-il fait comme eux ? On est tenté de le croire, quand on le voit si instruit des cultes de l’Orient. Une fois même, il semble le dire en termes exprès. Il est amené à parler de ces prétendus prophètes qui, de son temps, couraient la Phénicie ou la Palestine, annonçant qu’ils étaient les fils ou les envoyés de Dieu, que la fin du monde approchait et qu’ils reviendraient au dernier jour honorer ceux qui les auraient bien reçus et plonger les autres dans le feu éternel. « De ceux-là, dit-il, j’en ai entendu plus d’un de mes oreilles, et, après les avoir convaincus, je les ai amenés à avouer leur point faible, et qu’ils débitaient au hasard tout ce qui leur passait par la cervelle. »

Dans ses excursions à travers les religions de tous les peuples, il ne pouvait manquer de rencontrer bientôt le christianisme. C’était la plus nouvelle de toutes, et celle aussi dont les progrès avaient été le plus rapides. Elle s’avançait sans bruit, profitant des sévérités autant que des faveurs des princes, grandissant pendant la paix, fortifiée par les persécutions et recueillant sur sa route les mécontens et les désabusés des autres cultes. Il est naturel qu’elle ait tenté la curiosité de Celse et qu’il ait voulu la connaître à fond. C’était un dessein assez nouveau. Jusque-là le mépris qu’on