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du pays ! Ainsi l’emprunt de 1832 n’eut d’autre résultat pour la Grèce que de la charger d’une dette écrasante sans lui créer des ressources.

Les passions politiques, innées chez les Grecs modernes comme chez les Grecs anciens, n’étaient point faites pour développer l’agriculture, ni pour favoriser l’industrie. Dans les huit premières années du règne d’Othon, c’étaient tous les trois mois des changemens de ministère, des dissolutions, des élections qui agitaient le pays et parfois l’ensanglantaient. Souvent en effet les partisans d’une candidature la soutenaient à coups de fusil, argumens que leurs adversaires ne trouvaient pas sans réplique et auxquels ils ripostaient par des argumens de même calibre. Ainsi, comme aux États-Unis, les lieux de vote devenaient quelquefois des lieux de combat. On remettait au lendemain les affaires sérieuses, les travaux des champs et des ateliers pour s’occuper le jour des choses plus bruyantes de la politique. Chacun était bien convaincu que le malaise des affaires, le déficit du budget, l’appauvrissement du sol étaient la conséquence de tel ou tel ministère, et que, le cabinet renversé, tout irait le mieux du monde, comme par enchantement. Les Grecs étaient coupables de vivre dans de telles illusions, mais la diplomatie des puissances protectrices n’était-elle pas plus coupable encore d’y entretenir la jeune nation, de faire sans cesse apparaître à ses yeux de décevans mirages ? On sait que les hommes politiques grecs ont été de longues années divisés en trois partis, le parti russe, le parti anglais, le parti français. Le parti russe spéculait sur la similitude des deux religions et sur l’inimitié séculaire des Russes et des Turcs ; le parti anglais fondait ses espérances sur cette opinion plus ou moins discutable que l’Angleterre est de tous les états européens celui qui a le plus d’avantage à faire de la Grèce une nation puissante ; le parti français sur l’esprit d’équité et les sentimens généreux de la France. Chaque parti prenait son mot d’ordre à la légation d’une des trois puissances, où on n’était point avare de promesses pour faire prévaloir son influence. Plus d’un changement de cabinet a été préparé dans ces légations ; le grand mouvement de 1843 qui aboutit à une révolution fut fomenté à l’ambassade russe. Pendant plus de vingt ans, la Grèce fut le champ de bataille pacifique des trois puissances ; elle fut surtout le foyer des intrigues russes en Orient. Le ministère qui représentait un des trois partis était aussitôt attaqué, combattu, renversé par la coalition des deux autres. Après la révolution de septembre 1843, il y eut un ministère purement russe, mais il ne put se maintenir longtemps aux affaires. Ce fut alors une succession de cabinets anglo-français et de cabinets russes qui passèrent, plutôt qu’ils ne gouvernèrent, au milieu des troubles et des émeutes. L’influence française