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l’expédition avait donc aux yeux du saint-siège le caractère d’une croisade, et la guerre s’étant prolongée et ayant entraîné d’énormes dépenses, le souverain pontife se chargea même d’en supporter une partie, ce qu’il fit en recourant aux biens de l’église. La guerre terminée, le pape invita le roi de France à consacrer à une expédition en terre-sainte les sommes provenant des décimes qui n’avaient pas été employées ; mais Philippe le Bel ne se rendit pas à cette invitation, et, loin de restituer le reliquat des décimes, il entreprit de prouver que le saint-siège était son débiteur pour des sommes importantes.

Si les bénéfices ecclésiastiques devaient ainsi contribuer en diverses occasions pour une quote-part à l’acquittement de l’impôt, à plus forte raison devait-il en être de même des biens personnels des membres du clergé : ils furent constamment soumis à cette obligation. Ces biens ne jouissaient pas en effet des mêmes immunités que ceux de l’église proprement dits. Les clercs devaient, comme les laïques, un impôt proportionnel à leur fortune privée, et cela tant envers l’état qu’envers les communes. L’exemption dont ils jouissaient ne portait pas sur ce qu’on appelait les tailles réelles ; ils devaient des impositions pour leurs héritages roturiers, et ils n’étaient affranchis des tailles personnelles que s’ils vivaient cléricalement, c’est-à-dire sans être mariés et sans exercer le commerce ou une profession mécanique. C’était seulement à titre de seigneurs féodaux et quand ils vivaient dans leurs fiefs qu’ils se trouvaient, comme les nobles, affranchis de toute imposition ; or ces fiefs, comme ils le reconnurent eux-mêmes devant Philippe le Bel quand ce prince réclama leur appui contre les prétentions de Boniface VIII, ils les tenaient du roi et non du pape ; ils devaient donc, en vertu du lien féodal, à leur suzerain dans certaines circonstances aide et concours, et cette dette participait souvent du caractère d’une contribution pécuniaire. Dans les assemblées provinciales qui, à partir du XIVe siècle, commencèrent à voter les subsides demandés par le roi, les membres du clergé avaient leur place ; ils y accordèrent plusieurs fois des décimes que les représentans de ce même ordre consentirent aussi dans les états-généraux. Ces concessions de deniers par l’église ne se faisaient toutefois ni sans quelques récriminations, ni surtout sans qu’on stipulât des réserves. Les députés du clergé entendaient que les contributions et les charges qu’on obtenait d’eux n’eussent pas le caractère d’une aliénation du patrimoine ecclésiastique. Plus d’un d’entre eux, aux états-généraux comme aux états provinciaux, contesta hardiment au pouvoir royal, même sur les biens personnels des clercs, les droits qu’il prétendait exercer. La situation indépendante des prélats et des abbés donnait à leurs