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tous ceux qu’il suivait naguère, poètes, philosophes, chercheurs passionnés de l’idéal, et les présente avec confiance au Dieu de la croix :

Je vous offre à bénir et voudrais vous nommer,
Ô mon père ! tous ceux que je suis fier d’aimer ;
Tous ceux que, dans la joie ou les destins contraires,
J’appelle dans mon cœur mes maîtres ou mes frères…
Jamais devant un glaive ou devant un linceul,
Pour lutter on souffrir Dieu ne m’a laissé seul.
J’ai pour les opposer au torrent de mes peines
Conquis des amitiés fortes comme des chênes…

Mon Dieu ! ni les plaisirs, ni les ambitions
N’ont de leur vil ciment formé nos unions ;
C’est dans l’amour du bien, des beautés infinies,
Que se sont rencontrés nos cœurs et nos génies.
Vous le savez : tous ceux à qui je tends la main
Marchent tous, devant vous, dans un noble chemin…

Ô Christ ! puisque aujourd’hui, prévoyant et sévère,
C’est moi que tu choisis pour monter au Calvaire,
J’ose, indigne entre tous, te supplier pour eux
De les marquer au front de ton sang généreux ;
Afin qu’en traversant les temps vils où nous sommes
Nul d’entre eux ne se perde en la cité des hommes.
Garde au monde divin, garde leur cœur entier,
Mais fais-leur ici-bas un moins rude sentier,
Allège un peu leur croix sur nos âpres collines
Et mêle quelques fleurs à leur bandeau d’épines,
Que jamais aucun d’eux, gémissant d’être né,
Ne te crie : ô mon Dieu ! tu m’as abandonné.
Au fort de ses combats que chacun d’eux espère ;
Entre tes bras sacrés reçois-les comme un père,
Et que nous allions tous, humble et fidèle essaim,
Retrouver à jamais l’amitié dans ton sein.

Voilà comment ce livre, tout plein des ardeurs de la foi, exprime en même temps toutes les fidélités, livre aimable et profond, livre chrétien que nul philosophe ne lira sans mieux aimer la philosophie, nui artiste sans avoir de l’art une conception plus haute et plus riche.


IV

On a vu les trois cycles qu’a parcourus successivement la marche ascendante de la pensée du poète, l’homme, la nature et Dieu. Dans Psyché l’homme idéal, dans les Odes et Poèmes la nature idéale ; car malgré les critiques que nous avons dû adresser à M. Victor de Laprade, on ne pouvait méconnaître, au milieu même de ses erreurs,