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Jésus sur la barque du pêcheur que secoue la tempête. Ce n’est plus une barque, ce n’est plus un frêle esquif, c’est le navire séculaire, le navire du pays de France qui porte les destinées du monde.

Le navire est immense, un peuple entier l’habite ;
D’après un plan divin sa charpente est construite

.

Et cette tempête qui l’ébranle, oh ! ce n’est pas le coup de vent qui assaillit un jour la barque des pêcheurs sur le lac de Génézareth, c’est la tempête humaine bien autrement redoutable que la fureur des vents et des flots, c’est l’ouragan des passions basses, le déchaînement de la chair et de ses appétits. On voit que le poète, noble amant de la liberté, écrit ces pages vengeresses au lendemain des journées sinistres qui ont pour si longtemps détruit la liberté dans notre France. Ces invectives appartiennent à l’histoire de 1848, comme la Curée d’Auguste Barbier appartient à l’histoire de 1830. Même énergie de convictions nobles, même foi patriotique, même idéal républicain.

Un sentiment pareil éclate, et avec plus de véhémence encore, dans la pièce intitulée : la Colère de Jésus. J’y trouve en même temps une inspiration bien touchante dans les avertissemens que le poète s’adresse à lui-même. Son précédent recueil, les Odes et Poèmes, avait manifesté ça et là certaines tendances misanthropiques. Du haut des cimes alpestres, il avait trop méprisé les villes et la foule qui s’y agite. La colère de Jésus, au moment où il vient de répéter ses paroles et de les tourner contre ses frères, lui inspire tout à coup des scrupules. Est-ce bien à l’homme de s’approprier les anathèmes du vengeur céleste ? Un Dieu seul peut lancer de telles condamnations puisqu’il possède seul les trésors de l’infinie miséricorde. Celui-là seul a le droit de frapper qui a le pouvoir de guérir. Il s’encourage donc à la douceur, à la patience, à l’oubli des fautes, à la sympathie humaine. La haine est une mauvaise conseillère ; arrache de ta lyre, ô poète, cette corde trop prompte à faire vibrer la haine.

Sois doux et patient même à l’heure où nous sommes,
Demande à Dieu pardon d’avoir maudit les hommes.


Que de nobles choses dans cette humanité ! Ne regarde plus les misères d’en bas, ne regarde que les hauteurs. Il y a là une élite qui t’appelle. Reviens aux maîtres, à Sophocle et à Virgile, à Shakspeare et à Dante, inspire-toi de Phidias comme de Raphaël. Unis la profondeur chrétienne à la beauté antique. — Et, se rappelant ses propres fautes, les imperfections de sa poésie, les longueurs de