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de la sève de l’Oratoire, écrivait récemment ces paroles : « Faire de la mysticité sentimentale, c’est chose facile… La littérature pieuse de nos jours abonde en productions qui mériteraient d’être appelées frivoles, n’étaient la gravité des questions dont elles traitent et la bonne foi de leurs auteurs[1]. » L’auteur des Poèmes évangéliques, même dans le premier feu de son retour de conscience, était préservé du péril que signale si bien le sage pasteur. Sa haute idée de la personne humaine, telle qu’il l’avait entrevue au fond de la culture hellénique, l’empêchait de tomber dans les enfantillages et les frivolités. Rien de plus fermé que sa philosophie chrétienne. Il n’a que des sentimens virils et virilement exprimés. Ses élans, ses effusions, ses tendresses les plus intimes attestent toujours le penseur. Sans viser le moins du monde au rôle de théologien, par cela seul qu’il parle en poète moraliste, c’est-à-dire en témoin et en confident de l’âme humaine, il réfute tout naturellement quelques-unes des plus étranges hérésies de nos jours. Suivant l’ancienne tradition chrétienne, c’était une grave erreur de voir seulement l’homme ou seulement le Dieu dans la personne du Christ. Combien de fidèles aujourd’hui pour qui l’homme a disparu dans le Christ et qui suppriment tout lien entre le médiateur et l’humanité ! Combien d’autres au contraire pour qui le Dieu s’est abaissé et qui s’abandonnent, en parlant du Sauveur, à des familiarités de mauvais goût ! C’est la vieille distinction des esprits farouches et des esprits accommodans, des fanatiques et des frivoles, des jansénistes et des jésuites, car ces querelles de théologiens qui tiennent à des conceptions philosophiques erronées se perpétuent de siècle en siècle sous des déguisemens nouveaux, alors même que les circonstances générales semblent y avoir mis fin pour toujours. Il n’y a ni étroitesse janséniste ni mesquinerie jésuitique dans la prédication chrétienne de Victor de Laprade. Tout y est franc, large, ouvert, noblement, et pleinement lumineux. D’abord, point de mysticités équivoques. C’est à peine s’il ose approcher du Verbe :

L’apôtre seul, touché par les langues de feu,
Dira la majesté du Verbe égal à Dieu.


Mais ce Christ a été notre frère, il a vécu de notre vie, il a été pauvre, il a souffert ; l’Évangile, qui l’appelle fils de Dieu, l’appelle aussi le fils de l’homme. Ce fils d’Adam, ce fils relevé qui relève tous les autres, a été tenté comme chacun de nous, comme chacun de nous il a été forcé de combattre l’ennemi invisible, il a connu

  1. L’évêque d’Autun, dans une lettre adressée au père Augustin Largent, de l’Oratoire, à propos de l’ouvrage intitulé : Élévations à saint Joseph. Paris, 1876.