Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/741

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’un signe, c’était l’appel du Dieu que le poète avait si noblement poursuivi. Vainement l’auteur des Odes et Poèmes essaie-t-il de se raidir encore contre le doute qui vient de lui arracher des larmes ; il entend retentir à ses oreilles l’avertissement des saints : Vœ soli ! et son instinct supérieur finit par lui dire que l’âme de la création, c’est l’amour. Cherchez donc cette âme, ô poète ! tout vous en parlera, le brin d’herbe aussi bien que le chêne, et le vallon obscur aussi bien que les cimes resplendissantes. Cherchez-la surtout dans ce qui pense, dans ce qui veut, dans ce qui aime. La volonté féconde que maudit l’impuissant peut-elle être mise en balance avec la sensibilité indécise ? Et quelle fille de bonne mère consentirait à être Hermia, pouvant être sainte Geneviève ou sainte Jeanne d’Arc ? Cherchez dans votre cœur le principe de vie. Les cimes sont en vous, tâchez de les découvrir. C’est le devoir, c’est le sacrifice, c’est le dévoûment à la patrie, et, pour elle, à toutes les grandes causes.

Ces idées, que nous suggère le gémissement du poète sur la montagne, furent pour lui le point de départ d’un travail intérieur qui dura une dizaine d’années. Retraite laborieuse ! Transformation accomplie sans bruit, sans éclat, le plus simplement et le plus naturellement du monde ! Les Odes et Poèmes sont de 1843 ; vers la fin de 1852 parurent les Poèmes évangéliques.


III

Le recueil des poèmes évangéliques est le point central et culminant dans l’œuvre de M. Victor de Laprade. C’est de ce point qu’on embrasse tout le développement de la chaîne. les chants qui ont précédé ce beau livre semblent n’avoir eu d’autre but que d’en mieux préparer l’éclosion ; ceux qui viendront ensuite ne feront qu’en appliquer les principes et en agrandir le domaine. Ni la religion de l’humanité idéale, ni la religion de la nature idéale n’avaient pu satisfaire l’âme du poète ; après ce labeur opiniâtre, il s’en revient libre et fort à la religion du Christ.

Ce travail est chez lui si logique, si régulier, si parfaitement naturel qu’il n’a pas besoin d’une conversion éclatante, il lui suffit de rectifier sa pensée. C’est ainsi qu’en déclarant ses convictions nouvelles il a pu rappeler sans embarras ses ardentes recherches des jours précédens. La Grèce et la Gaule, le culte des héros et le culte des vieilles forêts, ce n’était pour lui en réalité que des étapes successives dans son voyage à la poursuite du divin. Pourquoi