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La personne inconnue qui a donné le jour à Hermia semble aussi être devenue épouse et mère au souffle des brises de mai. Fille des enchantemens printaniers, Hermia grandit au sein de la nature alpestre, loin des villes et des villages, loin de toutes les communautés humaines. Est-ce une femme ? Est-ce une plante ? On ne saurait le dire. Sa vie se passe dans les bois, dans les prés, au bord des eaux courantes, et se confond avec la vie universelle. Elle se nourrit de fruits sauvages et boit le lait des troupeaux vagabonds, car les bonnes gens de la montagne, la considérant comme une sorte de petite Fadette, lui laissent traire à sa fantaisie les brebis et les chèvres. Tous les animaux lui sourient, comme dans les légendes chrétiennes du moyen âge. Rappelez-vous ces religieux que le vieil Orcagna peignait sur les murs du Campo-Santo et dont Auguste Barbier a si poétiquement parlé, rappelez-vous cette vie paisible des moines, cette familiarité des êtres inférieurs avec les solitaires inoffensifs :

Leur vie est innocente et sans inquiétude,
L’inaltérable paix dort en leur solitude,
Et, sans peur pour leurs jours, en tous lieux menacés,
Les pauvres animaux par les hommes chassés,
Mettant le nez dehors et quittant leurs retraites,
Viennent manger aux mains des blancs anachorètes.
La biche à leur côté saute et se fait du lait,
Et le lapin joyeux broute son serpolet.

Ici, c’est bien mieux, ou du moins c’est tout autre chose. La grâce des vieilles légendes ne suffit pas, voici les rêveries panthéistiques. Tous ces animaux qui l’entourent, ce sont des créatures du même ordre habitant les forêts fraternelles. Les chiens fauves lui lèchent les mains, les taureaux flairent ses cheveux blonds, les hôtes des nids et des tanières se groupent familièrement autour d’elle, car d’un seul regard elle rassure l’oiseau timide et apprivoise la bête féroce. Bref, elle est mêlée à toute la nature et commande l’amour à tous les êtres. Voyez-la s’avancer, muette et pensive, au milieu des daims et des bouvreuils, des aigles et des chamois. L’aigle lui apporte des fleurs des sommets, le chamois défiant vient se coucher à ses pieds.

Qui êtes-vous, Hermia ? lui demande le poète. Avant cette vie d’aujourd’hui, quelle destinée était la vôtre ? À la place de ces blonds cheveux et de ces bras charmans, aviez-vous des plumes et des ailes ? Habitiez-vous un nid sous la feuillée ? Étiez-vous un beau cygne sur un lac aux reflets d’argent ? Étiez-vous une source limpide, un arbre noblement élancé, une fleur gracieusement épanouie ? Oui, vous étiez sans doute un de ces êtres heureux à qui