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partout que misères, bassesses, servilités de tout genre. Où est l’homme libre des premiers âges ? Où est l’abri qui le préservera de la corruption ? C’est la nature, la grande nature, celle-là surtout qui est le plus éloignée de l’ignobile vulgus, la région des hautes terres et des sommets immaculés. Précisément le pays que le poète habite est situé entre les monts de l’Auvergne et les glaciers des Alpes. C’est là que s’envole son imagination, c’est dans l’atmosphère des cimes inaccessibles, au-dessus des chênes, au-dessus des sapins, au-dessus des mélèzes, au bord des torrens et des mers de glace, que se placera la seconde étape de sa carrière poétique. Une doctrine, non pas neuve assurément, mais que nul n’a sentie plus à fond et ne s’est mieux appropriée, lui dit que les trois élémens de la poésie souveraine sont l’humanité, la nature et Dieu. Il a étudié l’humanité dans sa partie la plus haute ; il veut étudier la nature dans ses régions les plus sublimes ; une fois préparé de la sorte, le verbe des hymnes et des alléluia montera plus sûrement vers l’éternel.

Voilà l’origine logique du recueil intitulé Odes et Poèmes. M. Victor de Laprade va se livrer tout entier au culte passionné de la nature alpestre. Autant il a glorifié la race humaine dans son poème de Psyché, autant il célébrera d’un cœur enthousiaste les forces vivifiantes de la nature, de la nature sainte, de la nature confidente et révélatrice de Dieu. Tout se transfigure devant ses pas à la lumière de cette idée. Le parfum des forêts, l’air salubre des cimes, l’azur sans tache, les rayons d’or emplissant l’espace, lui apparaissent comme les puissances du temple, les archanges du tabernacle. Voulez-vous connaître le programme de sa Vita nuova ? Lisez les premières strophes de la pièce intitulée Alma parens :

J’irai boire l’eau vierge aux sources des grands fleures,
Mes pieds se poseront sur l’azur du glacier ;
Je veux baigner mon corps au flot des brises neuves,
L’éther le trempera comme l’onde l’acier.
Dormons sur une cime avec effort gravie ;
Dans la neige éternelle il faut laver nos mains :
L’air fait mouvoir là-haut des principes de vie,
Allons l’y respirer pur des souffles humains.
J’emprunterai ma force aux forces maternelles.
Nature, ouvre tes bras à ton fils épuisé,
Laisse ma bouche atteindre à tes fortes mamelles,
Jamais l’homme à ton sein n’a vainement puisé.
Je veux monter si haut sur les Alpes sublimes,
Que rien ne vienne à moi des miasmes d’en bas.
Un nuage à mes pieds couvrira les abîmes ;
Si le monde rugit, je ne l’entendrai pas !