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cela même tout abstraite et toute raisonneuse. Ce fut l’avant-dernière sentence de ce maître-juge en ce qui concerne la poésie pure ; on se rappelle que la dernière s’appliqua aux Contemplations de Victor Hugo. Onze ans après la mort de Gustave Planche, un autre maître, d’une inspiration bien différente, l’esprit le plus fin, le plus souple, sachant donner à la science la plus sûre la forme la plus exquise, — ai-je besoin de nommer M. Vitet ? — prenait plaisir à présenter aux lecteurs de la Revue la Pernette de M. Victor de Laprade. Nous-même, entre ces deux dates, nous avons apprécié ici des œuvres brillantes et fortes que l’auteur de Psyché venait d’ajouter à son écrin : les Voix du silence, les Idylles héroïques nous ont fourni l’occasion de montrer combien le noble poète, profitant des conseils de Gustave Planche, s’élevait naturellement et de jour en jour jusqu’aux régions du grand art, à ces hautes régions où devait le saluer M. Vitet.

Eh bien ! même après les sympathiques avertissemens de Gustave Planche, même après l’amical hommage de L. Vitet, et tout en nous rappelant nos propres impressions d’autrefois, il nous paraît qu’il y a encore des choses originales à exprimer sur l’ensemble des œuvres de M. Victor de Laprade. Pourquoi cela ? Parce qu’un milieu nouveau nous les rend nouvelles, parce que le temps a marché, parce que le point de vue général n’est plus le même, parce que des rapprochemens inattendus s’offrent de toutes parts à nos méditations. Laissons-nous prendre aux choses, disait Molière. Grâce à ce cours des années qui renouvelle perpétuellement l’aspect du monde moral, j’ai l’espérance de ne pas me redire, et comme il s’agit toujours du même poète, d’un poète qui a su tenir constamment son âme droite et ouverte, je suis bien assuré de ne pas avoir à me contredire.


I

Lorsque M. Victor de Laprade débuta en 1841 par son poème de Psyché, les meilleurs juges furent d’accord pour louer la noblesse de cette composition ; tous avaient été frappés de l’élévation des sentimens et de la beauté sculpturale du style. Seulement quelques-uns d’entre eux, et, Gustave Planche à leur tête, mêlaient à leurs suffrages des objections très sérieuses : ils disaient que le poète avait méconnu les conditions de son sujet, et qu’ayant choisi un des plus purs symboles, du génie grec il n’aurait pas dû l’altérer par un mélange de pensées toutes modernes. Aujourd’hui, bien au contraire » c’est ce mélange des pensées modernes avec la beauté de la faible antique qui fait pour nous le principal intérêt de Psyché.