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siège tumultueux, par l’assaut du ministère lui-même, de ce ministère à qui on devait le succès des élections sénatoriales. Ce jour-là tout a été réellement faussé par l’intervention pleine d’âpreté, par le déchaînement de ceux qui ont tenté audacieusement de s’approprier une victoire de scrutin et de ceux qui, sans aller jusqu’à une hostilité avouée, ont cru habile de profiter des circonstances. Le ministère, menacé dans l’obscurité des conciliabules, a triomphé à la clarté de la discussion publique ; il a triomphé par la loyauté de son attitude, par l’ascendant de la raison, par la sévère et vigoureuse parole de M. Dufaure. M. Floquet et M. Madier de Montjau en ont été pour leurs frais d’éloquence, les impatiens de la gauche en ont été pour leur tentative. Le gouvernement, si menacé la veille encore, a obtenu au 20 janvier une majorité assez considérable ; mais en désarmant ses adversaires, en réunissant une majorité suffisante, le ministère est resté lié par toute sorte d’engagemens pressans qui lui ont été imposés pour le sauver, qui avaient le caractère d’une traite à vue tirée par les partis sur toutes les fonctions de l’état. Ces engagemens qu’il voulait tenir, qu’il n’était plus libre de décliner, le cabinet était obligé à son tour de les faire accepter par le président de la république, qui n’a pas cru pouvoir souscrire à tout ce qu’on lui demandait, notamment à ces modifications des commandemens militaires tant réclamées.

En définitive on n’avait échappé à un écueil que pour aller se heurter contre un autre écueil ; la difficulté n’avait fait que se déplacer et s’aggraver en allant du parlement à l’Elysée, en mettant plus que jamais directement en présence la volonté parlementaire représentée par le ministère et le chef du pouvoir exécutif. Au point où l’on était arrivé, tout devenait impossible ; M. le maréchal de Mac-Mahon n’avait plus qu’à abdiquer, sous peine de se trouver dans un isolement complet, sans appui et sans ministère, en lutte ouverte avec le parlement, — de sorte que, par une étrange combinaison, les impatiens de la gauche, après avoir été vaincus dans leur tentative contre le cabinet, se trouvent en fin de compte avoir le dernier mot du conflit par la pression qu’ils ont exercée. La démission présidentielle du 30 janvier est pour eux la revanche de leur échec dans les interpellations du 20. Ce qui se passe depuis trois jours, on ne peut se le dissimuler, est l’œuvre de leurs agitations, de leurs menées, de leurs prétentions, de tout ce qu’ils ont tenté pour faire sortir d’un scrutin destiné à maintenir la paix une victoire de leurs passions et de leurs intérêts de parti, et c’est là justement ce qui fait la gravité de la crise : c’est là aussi ce qui rend singulièrement difficile et délicate la position de M. Jules Grévy, arrivant au pouvoir avec la mission de réaliser ce qu’on commence à appeler la « vraie république, » — sans doute parce que ce qu’on avait jusqu’à ce moment n’était pas la vraie république.