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d’ordinaire si mal, elle est là et elle n’est que là, et elle est là tout entière. Et c’est pourquoi justement tout est ici nouveau, tout est original et ne ressemble à rien de « déjà vu. » Un aventurier qui veut épouser une grosse dot avec une honnête fille, quoi de plus ordinaire au théâtre comme dans la vie ? Et cependant Samuel Brohl est original, Samuel Brohl est nouveau, Samuel Brohl est l’une des comédies les plus rares que l’on ait vues depuis longtemps.

L’Odéon l’a compris et n’a pas lésiné sur les frais. Il a placé le prologue et les cinq actes de Samuel Brohl dans le cadre d’un décor élégant et sobre, il a fait honneur à MM. Cherbuliez et Meilhac de ses meilleurs acteurs. Samuel Brohl est bien joué, très bien joué, beaucoup mieux joué, — nous l’avouerons à notre confusion grande, — que nous ne l’eussions cru possible au second Théâtre-Français. Il nous a paru toutefois, — le rapprochement ne peut pas s’éviter, — que l’ensemble était moins parfait qu’au Vaudeville, — qu’on y prenait les uns les autres moins de soin peut-être de se faire réciproquement valoir, — ou du moins que chacun n’avait pas la même habitude de son partenaire que sur la scène du Vaudeville. C’est un défaut, nous l’espérons, auquel rien ne sera plus facile que de porter remède, et Samuel Brohl fournira certainement une carrière assez longue pour que le reproche ait depuis longtemps cessé d’être vrai avant qu’on ait cessé de jouer la pièce. Il serait injuste de ne pas signaler Part exquis avec lequel Mme Élise Picard tient le rôle de Mlle Moisseney. Le rôle aussi de Samuel Brohl est très bien compris et rendu, maison vérité quelle rage ont donc ceux qu’on appelle au théâtre les jeunes premiers d’exagérer comme ils font le tremblement nerveux de toute leur personne ? Ce tremblement des jeunes premiers, n’est le chevrotement de certains ténors. Il n’est pas si nécessaire qu’ils le croient de trembloter et de chevroter.

Céderons-nous, pour finir, à la tentation de comparer Samuel Brohl et Ladislas Bolski ? Ce serait à coup sûr une aimable occasion de parallèle. il y aurait plaisir à montrer M. Cherbuliez se délassant du drame héroïque dans la comédie de mœurs, parcourant en quelque sorte la gamme des émotions, également maître de lui dans l’expression des plus nobles sentimens et de la meilleure plaisanterie, de l’une à l’autre extrémité remplissant tout l’entre-deux, mais qu’apprendrions-nous aux lecteurs de la Revue qu’ils ne sachent depuis longtemps ?


F. BRUNETIERE.