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docteur Falk n’a pas été sacrifié ; il est encore ministre des cultes, et les derniers discours qu’il a prononcés ne témoignent ni de son repentir, ni de ses dispositions pacifiques. Agamemnon n’a pas fait rentrer son épée dans le fourreau ; Calchas interroge obstinément le ciel, mais les auspices ne sont pas favorables. Il est en vérité presque impossible qu’on s’entende. M. de Bismarck dit au Vatican : — Vous avez été les agresseurs et je ne m’y suis pas trompé. Quand vous avez formé le parti du centre catholique, quand vous avez béni ses épées et ses drapeaux, j’ai compris ce que cela voulait dire et que vous veniez de mobiliser votre armée pour entrer en guerre contre nous. Mettez vos troupes sur le pied de paix, licenciez votre état-major, dissolvez ce parti qui nous moleste et nous menace, et commandez aux catholiques de se soumettre aux lois de mai ; nous verrons ensuite à les réviser. — A quoi le Vatican réplique : — Il y a dans les lois de mai des articles absolument contraires à tous nos principes, et nous ne pourrions les tenir pour valables sans donner un démenti à tout notre passé. Commencez par les supprimer, et nous ferons de notre mieux pour vous être agréables. — Qui se relâchera de ses prétentions ? qui cédera le premier ? Il y a là matière à discourir longtemps en allemand et en latin ; mais on a peine à s’entendre quand on ne parle pas la même langue.

L’Allemagne n’est pas admise à dire son mot dans ce débat ; on ne lui demande pas son avis, on ne la consulte point, on ne l’informe de rien. Elle en est réduite à écouter aux portes, et elle se persuade tantôt que les pourparlers sont sur le point d’aboutir, tantôt que tout est rompu. La discrétion qu’on observe à son égard l’inquiète, le mystère est toujours inquiétant. L’Allemagne, comme nous l’avons dit, a commencé l’année 1879 dans de fâcheuses dispositions d’esprit ; elle est anxieuse et mécontente. Il lui semble que M. de Bismarck n’a pas eu la main heureuse dans ses dernières entreprises. Elle doute que la loi d’exception contre les socialistes soit aussi efficace qu’on l’avait pu croire ; elle doute que le projet de loi disciplinaire fasse honneur au génie de celui qui l’a inventé ; elle n’est pas certaine que le protectionnisme soit le meilleur moyen de ranimer son industrie et son commerce qui languissent ; elle se demande si les négociations entamées avec Rome n’aboutiront pas à un échec humiliant, qu’elle préférerait encore à une paix compromettante pour sa dignité ; elle craint que le chancelier de l’empire ne se soit déjugé sans profit pour lui ni pour personne. L’Allemagne croyait de toute son âme à l’étoile de M. de Bismarck, qu’un léger nuage vient d’obscurcir ; elle attend avec impatience que le nuage se dissipe, que cette étoile victorieuse et de première grandeur reparaisse dans tout son éclat.


G. VALBERT.