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entrer dans le même bonnet la tête d’un omnipotent et celle d’un infaillible.

Il semble que les deux parties contractantes se soient fait d’abord quelques illusions l’une sur l’autre. M. de Bismarck s’était persuadé que, touché des traverses qu’essuie l’église catholique en Prusse, pressé du désir de rendre à leurs diocèses les évêques bannis et de pourvoir de pasteurs les paroisses qui n’en ont plus, le pape ferait bon marché de certaines questions de principes ou d’étiquette pour remédier au plus vite à une situation qui s’aggrave d’année en année, presque de mois en mois. Il oubliait, comme l’a remarqué le comte Arnim, qu’un pape est de tous les hommes le moins sentimental et qu’il se console de bien des choses en se répétant que Dioclétien passe et que l’église est éternelle. M. de Bismarck s’est également mépris en se figurant qu’il suffirait que le saint-père commandât à M. Windthorst de devenir ministériel et de voter le rachat des chemins de fer ou la révision du tarif douanier, pour que M. Windthorst s’exécutât. Lorsqu’il fit demander à la curie romaine, par l’entremise de Mgr Masella, qu’elle ordonnât au parti du centre de voter pour lui dans toutes les questions importantes, il lui fut répondu que la curie avait pour principe de ne pas se mêler des affaires intérieures d’un état dans les questions purement laïques. C’était une défaite ; cela voulait dire : « Vous nous demandez l’impossible et vous nous engagez à compromettre inutilement pour vous notre autorité ; nous sommes infaillibles à l’égard de nos ennemis, nous ne le sommes pas à l’égard de nos amis, et il est des gens qui peuvent désobéir au pape en sûreté de conscience, ce sont tous ceux qui sont plus papistes que le pape. »

Il est probable que de son côté le souverain pontife ne connaissait qu’à moitié l’homme redoutable à qui il avait affaire. Il y a dans le Vatican tant de corridors, tant de galeries, tant de tours et de détours que la vérité s’y égare en chemin et pénètre difficilement jusqu’au cabinet du saint-père. On se souvint peut-être à Rome d’un propos que M. de Bismarck avait tenu le 30 janvier 1872 dans une séance du parlement et de certain apologue qu’il avait récité aux catholiques. Il leur avait rappelé que jadis le soleil et Borée firent ensemble une gageure ; il s’agissait de savoir qui des deux parviendrait à dépouiller un voyageur de son manteau. Le y vent perdit ses peines.

Il eut beau faite agir le collet et les plis,
Plus il se tourmentait, plus l’autre tenait ferme.


Ce fut le soleil qui gagna le pari ; encore n’usa-t-il pas de toute sa puissance, d’où le fabuliste a conclu que « plus fait douceur que violence. » — « Vous seriez plus avancés, messieurs, avait ajouté M. de Bismarck, si vous aviez imité le soleil et employé avec moi les moyens doux. » Rome s’est décidée à employer les moyens doux, elle a fait au