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radical allemand et la société chrétienne[1]. Il serait intéressant de le comparer au livre de M. François Huet, le Règne social du christianisme, publié en 1852, dans le même esprit et sur le même plan. Voici l’épigraphe que le pasteur Todt met en tête de son livre : « Celui qui veut comprendre la question sociale et contribuer à la résoudre doit avoir à sa droite les livres de l’économie politique, à sa gauche ceux du socialisme scientifique et devant soi les pages ouvertes du Nouveau Testament. » L’économie politique, ajoute-t-il, joue le rôle de l’anatomie ; elle fait connaître la construction du corps social. Le socialisme est la pathologie qui en décrit les maladies. L’Évangile est la thérapeutique qui apporte les remèdes.

N’est-il pas étrange que le socialisme se développe précisément dans les pays chrétiens ? D’où cela vient-il ? C’est, suivant le pasteur Todt, que le socialisme a sa racine dans le christianisme ; seulement, il en est une déviation. C’est un fruit de l’Évangile, mais c’est un fruit vicié. Au fond, suivant M. Todt, le socialisme naît du sentiment de révolte produit par la vue du contraste qui existe entre la constitution économique actuelle de la société et un certain idéal de justice et d’égalité, d’où naît le désir de faire disparaître ce contraste par des réformes radicales de l’ordre social. Le christianisme condamne également le monde actuel où règnent l’égoïsme et la concupiscence, et il annonce le royaume nouveau où les premiers seront les derniers, où la charité fera de tous des frères et où la terre appartiendra aux humbles et aux pacifiques. Le vrai chrétien cherche à se corriger lui-même et à réformer ce qui l’entoure conformément à la parole divine. Celui qui, comme le positiviste ou l’économiste, proclame le train des choses actuel nécessaire, fatal et conforme aux lois naturelles, se met donc en opposition avec les enseignemens de Jésus-Christ. Celui-là s’y conforme au contraire, qui poursuit l’amélioration et la perfection en tout. Aussi, d’après le pasteur Todt, tout chrétien qui prend sa foi au sérieux à un fonds de socialisme, et tout socialiste, quelle que soit sa haine contre la religion, porte en lui un christianisme inconscient. Seulement le radicalisme socialiste prêche l’athéisme et le communisme, et en cela il s’éloigne de l’Évangile ? qu’on ne s’y trompe pas, dit notre auteur, le socialisme n’est pas, comme on le croit généralement, une maladie passagère qui disparaîtra comme elle est venue. Il grandira et s’étendra. À différentes époques, il y a eu des explosions de socialisme, quand les souffrances des populations devenaient trop vives, comme lors des jacqueries en France et en Angleterre, ou au XVIe siècle, lors de la révolte des paysans en Allemagne. Aujourd’hui le sort des classes inférieures s’est beaucoup

  1. « Der radikale deutsche Socialismus und die christliche Gesellschaft, von Rudolf Todt. Wittemberg, 1878.