Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/686

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bons ouvriers et de réveiller l’esprit de corps. Le conseiller Reuleaux applaudit à ces tentatives parce qu’il y voit un moyen d’élever le travailleur allemand au niveau de l’Anglais et de l’Américain. Mais, au moment où j’écris, la plupart de ces associations sont dissoutes en vertu de la nouvelle loi antisocialiste.

L’Association centrale pour la réforme sociale obtint l’adhésion et même la coopération de plusieurs économistes bien connus comme M. Adolph Wagner, de l’université de Berlin ; Schäffle, ancien ministre des finances d’Autriche, l’auteur de Socialismus und Capitalismus, Adolph Samter, banquier à Königsberg, et le professeur von Scheel[1]. Mais, pour agir sur les masses comme l’ont fait les socialistes-catholiques, il fallait le concours des pasteurs ; c’est de ce côté que les fondateurs de l’œuvre, MM. Stocker et Todt, dirigèrent tous leurs efforts. Suivant eux, le devoir des ecclésiastiques et même celui de l’église protestante, comme corps, est d’intervenir dans les débats de la question sociale. Cette question, disent-ils, embrasse l’homme tout entier. La démocratie socialiste repose sur le matérialisme et propage l’athéisme. Le libéralisme et la science dite positive lui fournissent des armes, car ils travaillent à déraciner le sentiment religieux. Qui défendra ce trésor précieux de l’humanité, si ce n’est le pasteur ? Le Christ est venu apporter la « bonne nouvelle » aux pauvres. Les disciples du Christ et des apôtres doivent faire comme lui. Il faut qu’ils cherchent en quoi consistent les maux des classes inférieures afin d’y chercher des remèdes. C’est l’économie politique seule qui peut jeter des lumières sur ces difficiles questions ; il faut donc qu’ils l’étudient attentivement. Ils doivent sans cesse rappeler à l’état et aux classes supérieures ce que la loi évangélique leur impose à l’égard de leurs frères qui sont dans le dénûment. La passion d’accumuler des richesses devient de plus en plus le caractère de notre époque. C’est « le mammonisme, » l’ennemi du christianisme ; il faut le combattre sans cesse. Le peuple se détourne de l’église parce qu’elle ne l’entretient que de formules abstraites. Qu’elle descende sur le terrain de la réalité actuelle, qu’elle lui parle de ce qui occupe sa pensée, et elle regagnera son influence. Pourquoi l’ouvrier écouterait-il le démagogue athée qui lui apporte une doctrine désolante, hostile au droit, plutôt que le prêtre qui lui présente l’Évangile, le livre du pauvre et de l’opprimé ? Seulement, pour combattre les agitateurs de la démagogie, les pasteurs doivent connaître les questions dont ils s’occupent et les argumens qu’ils invoquent. Il serait donc nécessaire qu’ils suivissent aux universités le cours de science sociale. La théologie et l’économie politique se

  1. Voyez son livre récent : Unsere socialpolitische Parteim (Nos partis politiques sociaux).