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hommes libres. À cette époque, la quantité des produits était toujours en proportion des moyens de production, car ceux-ci consistaient uniquement dans les bras des travailleurs. Si vous augmentiez leur nombre, la consommation augmentait à mesure, et ainsi le surplus disponible pour payer le loisir restait minime. Aujourd’hui l’ouvrage est fait par des travailleurs de fer, qui consomment du charbon et non du blé ; leur nombre et leur puissance sont illimités, et jamais ils n’invoqueront les droits de l’homme pour réclamer leur affranchissement. Quand le moulin à eau, venu d’Orient, fut introduit pour la première fois dans le monde occidental, vers la fin de la république romaine, un poète grec, Antiparos, composa une pièce de vers que l’anthologie nous a conservée et qui résume d’une façon charmante la cause du progrès économique accompli depuis deux mille ans : « Esclaves qui faites tourner la meule, épargnez vos mains et dormez en paix. C’est en vain que la voix retentissante du coq annonce le matin ; dormez. Déméter a chargé les naïades de faire la besogne des jeunes filles. Voyez comme elles bondissent brillantes et légères sur la roue qui tourne. Elles entraînent l’axe avec ses rayons et mettent en mouvement la lourde meule qui tourne en rond. Vivons de la vie heureuse de nos pères et jouissons sans travailler des dons dont la déesse nous comble. » Ainsi la machine crée du loisir. Mais qui en jouira ? voilà le point. Trois cas peuvent se présenter. Ou bien ce loisir affranchira de tout travail un nombre croissant de personnes, la journée de ceux qui continuent à travailler restant la même ; ou il en résultera qu’en réalité il n’y aura pas plus de loisir pour personne, mais les heures de travail devenues libres seront consacrées à fabriquer des objets de luxe, ou bien encore, comme le supposait Antiparos, la machine profitera aux travailleurs en diminuant leur tâche. Dans l’intérêt, non de l’augmentation du chiffre de la production, mais du progrès de la civilisation, il faudrait souhaiter que la dernière hypothèse se réalisât. Mais en fait, ordinairement c’est le premier et le second cas qui se présentent.

Les socialistes conservateurs comme les socialistes catholiques développent des idées générales très élevées et parfois très justes, mais sur le terrain des réformes pratiques les deux groupes se montrent également faibles. M. R. Meyer demande qu’on diminue l’impôt sur la propriété foncière, et qu’on frappe de taxes élevées les profits de l’industrie et de la banque. Il réclame vivement le rétablissement des lois contre l’usure ; il veut même limiter l’intérêt payé à tout capital qui n’est pas mis en valeur par celui à qui il appartient. Il semble ne pas voir qu’en arrêtant ainsi l’essor de l’industrie il nuirait aux intérêts des propriétaires fonciers qu’il prétend défendre. Il veut aussi qu’on étende notablement le rôle