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deux parties, en proportion du service rendu. Mais qui fixera cette part ? Ce ne peut être qu’une sorte de jury de prud’hommes où maîtres et ouvriers seront également représentés, et dont les décisions auront force légale. La répartition serait ainsi réglée, non plus comme maintenant par la lutte brutale des intérêts, c’est-à-dire au fond par la loi du plus fort, mais, comme dans les anciennes corporations, par un principe de justice. Bien entendu, il ne s’agit pas de rétablir les corps de métiers avec leurs monopoles et leurs entraves, mais de soumettre tout le monde économique à une bureaucratie industrielle et à un ensemble de tribunaux, nouveaux organes du droit.

Le professeur Huber est mort, mais le conseiller Wagener vit, et il est même devenu un personnage des plus influens ; car, dit-on, le chancelier de l’empire le consulte volontiers en matière économique[1]. Voici ce qu’écrivait, dans une réponse au président Gerlach, le conseiller Wagener, qu’il ne faut pas confondre avec un autre économiste très connu, Adolph Wagner, professeur à l’université de Berlin : « Rien n’arrêtera cette puissance de démolition que nous voyons agir sous nos yeux et qui emporte toutes les institutions anciennes. Les corps de métiers de l’ancien régime ne peuvent être rétablis, mais la question ouvrière consiste précisément à chercher quelle organisation industrielle il faut adopter pour garantir comme autrefois les droits de l’ouvrier, trop complètement méconnus aujourd’hui. C’est de cette question que dépendent l’avenir des états et la destinée de la civilisation. Il reste à voir si les différentes classes de nos sociétés possèdent assez de prévoyance, d’énergie et de sagesse pour contribuer à la constitution d’un ordre nouveau. Si elles font preuve de ces qualités, elles seront régies par des institutions libres et par des fonctionnaires élus ; sinon elles le seront par la main de fer du césarisme. » Comme le professeur Huber, M. Wagener proposait la création immédiate de conseils de métiers, où les ouvriers auraient leurs représentai, et qui seraient investis du

  1. On attribue à M. Wagener un ouvrage intitulé : die Lösung der socialen Frage -vom Standpunkt der Wirklichkeit und Praxis, von einem praktischen Staatsmanne, 1878. En 1874 il fut envoyé au congrès économico-socialiste d’Eisenach par M. de Bismarck, ainsi que celui-ci l’a rappelé dans son discours du 17 septembre. En 1863 il écrivait dans le journal ultra-conservateur la Kreuzzeitung. L’auteur de l’écrit die Lösung y développe la thèse de la « royauté socialiste. » « L’institution monarchique, dit-il, ne peut avoir un avenir assuré que si, remontant à ses origines, elle se montre, tant en théorie qu’en pratique, l’égide des droits du faible, la protectrice des malheureux. Comme dit Stein, la royauté doit replonger ses racines dans la terre profonde des masses populaires. La monarchie de l’avenir sera la monarchie socialo, ou elle cessera d’exister. Si la royauté cherche son appui parmi les barons de l’industrie, parmi les princes de la bourse et dans les rangs des dix mille privilégiés, son autorité diminuera et elle finira par sombrer dans cette grande transformation démocratique qui fait arriver le peuple à la place de l’aristocratie et les organes de la science à celle des ministres du dogme. »