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Louis XVIII. C’est tout le bénéfice que le parti républicain pouvait tirer de la conspiration Malet. Aucune autre solution n’était possible. Pour soutenir le contraire, il a fallu qu’on éprouvât le besoin de couronner par un dénoûment à sensation un récit qui tenait déjà bien plus du roman que de l’histoire.

Toutefois ce jugement ne serait pas complet, il manquerait de valeur morale, s’il n’atteignait pas également toutes les responsabilités engagées dans l’affaire du 23 octobre. Après Malet, une juste part de réprobation doit revenir à ces hauts fonctionnaires, si faibles pendant la crise, à ces juges si durs après. Que penser de la conduite de M. le duc de Rovigo, par exemple ? Comment excuser celle de M. le baron Pasquier, celle de M. Frochot ? Quelles circonstances atténuantes invoquer à la décharge de M. le duc de Feltre ? Que dire surtout de l’incroyable légèreté de la commission militaire instituée pour juger Malet ?

Si pénibles que soient certains devoirs, il faut savoir les remplir sans se laisser influencer par des considérations d’ordre sentimental. Or il est prouvé que, s’il y eut crime d’un côté, il y eut d’autre part de coupables défaillances et un excès de sévérité que la raison d’état elle-même ne saurait justifier. Considérez ces ministres qui se laissent arrêter sans mot dire, ou qui abandonnent précipitamment leur poste sans donner un ordre, ces préfets si résignés, tout ce monde officiel que l’empereur avait comblé et dont la fidélité chancelle à la première nouvelle de sa mort, tous ces personnages chamarrés, empanachés, qui s’évanouissent à l’heure du danger comme des décors d’opéra, et qu’on retrouve après, redoublant d’obséquiosité ; considérez d’autre part ces juges improvisés, si peu soucieux des droits de la défense et des plus simples règles de la justice, si peu maîtres d’eux-mêmes, si pressés d’en finir, et vous aurez peine à vous défendre du plus pénible sentiment. Le vice d’une centralisation excessive apparaît là sous sa forme la plus choquante et l’on comprend mieux, devant cette débandade générale, l’effondrement successif des divers régimes qui se sont succédé depuis quatre-vingts ans dans ce pays. Tous ces régimes se sont, à des degrés divers, appuyés sur le fonctionnarisme ; aucun n’y a trouvé dans les momens critiques l’énergique assistance et la solidité qu’ils en devaient attendre. À ce point de vue, la conspiration Malet dut être pour l’empereur une triste révélation. « Ce fut, dit M. de Ségur, à la hauteur de Mikalewska et le 6 novembre, à l’instant où des nuées chargées de frimas crevaient sur nos têtes, qu’une estafette, la première qui depuis deux jours eût pu pénétrer jusqu’à nous, vint apporter la nouvelle de cette étrange conjuration… L’empereur apprenait à la fois leur crime et leur supplice. Ceux qui de loin cherchèrent à lire sur ses traits ce qu’il devait