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déjà fait pour les documens cités au début de cette étude. Admirable façon d’écrire l’histoire ! Un fait est gênant, on le supprime. Une pièce ne rentre pas dans le cadre qu’on s’était tracé, on l’omet. C’est un procédé fort simple en vérité et qui rappelle assez bien la manière du père Loriquet, mais singulièrement dangereux par ce temps de recherches patientes, et l’on risque fort en l’employant de compromettre son crédit. Les apologistes de Malet et de ses complices n’ont pas reculé devant ce danger. Après avoir représenté comme un Brutus l’homme qui écrivait à l’empereur, au duc de Rovigo les lettres qu’on a lues plus haut, ils n’ont pas craint de mettre à l’actif de la république et de glorifier une entreprise dont le parti royaliste tenait tous les fils !

Ces témérités n’ont rien que de fort naturel ; elles sont dans le tempérament des écrivains de l’école jacobine et s’expliquent par des considérations où l’histoire n’a rien à voir. Mais on serait peut-être en droit d’être surpris qu’entre tant de figures plus sympathiques et d’un caractère plus élevé, on ait été chercher, pour leur élever des statues, un pseudo-républicain comme Malet, et un traître à son pays, un agent des Anglais, comme Guidal. On ne conçoit vraiment pas l’intérêt qu’un parti peut avoir à revendiquer de tels hommes. De quelque audace qu’ils aient fait preuve, quelque courage qu’ils aient généralement montré devant la mort, ils n’en restent pas moins des aventuriers, et ce que l’on peut dire de mieux à la décharge du plus coupable d’entre eux, c’est qu’il était fou, à la décharge des autres, c’est qu’ils n’étaient pas dans le secret de la conjuration.


IV

Une folie, tel est en effet le terme qui caractérise avec le plus de justesse la tentative du général Malet. Il fallait être insensé pour concevoir la pensée de renverser Napoléon, à l’aide d’un caporal et d’un commissaire de police. Seul, un homme atteint de manie orgueilleuse, surexcité par une longue détention, hanté par des visions glorieuses, a pu former un tel projet et s’y aventurer comme on l’a vu, sans se départir un instant de son impassibilité. Il y a du somnambule chez Malet. Voyez de quel pas tranquille il se dirige, suivi des deux pauvres diables qui lui servent d’état-major, vers la caserne Popincourt, de quel air naturel il explique ai colonel Soulier que l’empereur est mort, que le sénat s’est réuni, qu’un gouvernement est constitué, avec quelle aisance il prend le commandement de sa petite troupe, se porte, à sa tête, à la prison de La Force, délivre Luhorie et Guidal, leur donne ses instructions,