Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/644

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donner contre moi à sa majesté sont enracinées dans son esprit ; il ne faudra pas moins que toute votre influence, monseigneur, pour parvenir à les détruire.

« Je mes mon entière confiance dans la bonté dont votre excellence m’a déjà donné des preuves et celles que j’en attend encore pour faire valloir près de sa majesté mes services rendus, ceux que je serais encore disposé à lui rendre et obtenir ma liberté.

« Recevez, monseigneur, l’assurance du sincère dévouaient et des sentimens respectueux avec lesquels j’ai l’honneur d’être votre très humble et très obéissant serviteur.

« Général MALET. »


Ainsi le général Malet avait rendu des services à sa majesté ; non-seulement il avait fait son devoir, mais il avait saisi toutes les occasions de lui prouver son zèle. Dans tous les temps, il avait été fidèle et dévoué et spécialement depuis que Napoléon avait pris le titre d’empereur. Cette fidélité, ce dévoûment, n’avaient pas été seulement ceux d’un soldat ; on ne pouvait se méprendre sur les sentimens qui les avaient inspirés, puisqu’il ne s’était jamais renfermé dans la stricte exécution des ordres reçus. Enfin il était disposé, si la liberté lui était rendue, à servir sa majesté comme par le passé. Voilà ce que le général Malet écrivait au tyran ; c’est par de tels moyens qu’il s’efforçait de surprendre la clémence de l’empereur. En vérité ce Léonidas manquait de fierté, et l’on a peine à s’expliquer que ces défaillances n’aient pas un peu refroidi l’admiration de ses apologistes. Le cas était assez épineux : ils s’en sont tirés, d’abord en ne donnant qu’une faible partie de la correspondance qu’on vient de lire, puis en se torturant l’esprit pour expliquer la singulière attitude du général par un calcul du plus profond et du plus louable machiavélisme.

Voici quel aurait été ce calcul. Il fallait que Malet obtint sa liberté pour reprendre la tentative avortée de 1808. Or il ne pouvait y parvenir qu’au prix de sa dignité. Donc il a bien fait de la sacrifier. On irait loin avec de tels syllogismes ; il n’est pas de lâcheté, pas de crime qu’on ne pût excuser par cette raison d’état d’un nouveau genre. C’est ainsi que l’on a pu de nos jours entreprendre de si scandaleuses réhabilitations. Celle du général Malet devait tenter un écrivain qui s’est fait une spécialité de ces tours de force historiques. Après avoir célébré les vertus de Robespierre, il devait être relativement facile de représenter le général Malet comme un homme d’un caractère indomptable et d’une fierté toute Spartiate. Malheureusement les archives nationales n’ont pas été « flambées, » comme la préfecture de police, et, de ses arcanes, chaque jour, sortent des témoignages auxquels toutes ces légendes