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son organisation, ses moyens de propagande et d’action sont encore un mystère pour nous. On sait vaguement qu’elle était dirigée contre le gouvernement comme toutes les sociétés secrètes ; pour le reste il faut s’en rapporter aux suppositions de Charles Nodier, qui s’est constitué son historiographe. Quoi qu’il en soit, le général Malet avait sa place marquée dans cette association. Tout l’y poussait : sa morosité qui, suivant l’expression d’un de ses biographes, Saulnier[1], « le portait à presque tout blâmer, » son orgueil qui lui faisait trouver indigne de sa haute valeur le grade de général de brigade auquel il était cependant parvenu d’assez bonne heure, à quarante-cinq ans, sa jalousie contre ceux de ses camarades qui avaient été plus que lui favorisés de la fortune ; enfin et par-dessus tout ce besoin de conspirer qui chez certains sujets dégénère en manie et devient pour ainsi dire un cas pathologique. Il se fit donc initier ; et, comme les statuts de l’association exigeaient des affiliés qu’ils prissent un nom de guerre, il choisit modestement celui de Léonidas, « si bien adapté d’ailleurs à son caractère antique[2]. »

Un tel nom comportait de grands desseins ; mais il y fallait une occasion favorable. Malet crut l’avoir trouvée lorsqu’en 1808 Napoléon partit pour l’Espagne. A cette époque, le gouvernement impérial commençait à fléchir sous le poids même de sa gloire ; le pays donnait des signes de fatigue ; une sorte d’opposition se dessinait dans le sénat ; la fidélité d’un certain nombre de hauts fonctionnâmes paraissait ébranlée. Quelques-uns, comme Jacquemont, cet ancien membre du tribunat, devenu chef de bureau au ministère de l’intérieur, entretenaient des relations avec les Philadelphes. D’autres, plus prudens, comme Fouché, préparaient déjà à petit bruit leur défection. Restait l’armée, bonne encore, mais bien surmenée ; en là travaillant un peu, en faisant briller à ses yeux l’abolition de la conscription et le rétablissement de la paix, qui sait ? on parviendrait peut-être à l’ébranler. Malet comptait beaucoup sur le prestige qu’il se reconnaissait à lui-même. Et puis ses amis de la rue du Bourg-l’Abbé, Demaillot, Bazin, le premier surtout, son camarade d’enfance, un Franc-Comtois comme lui, le poussaient à marcher. De concert avec eux, il rédigea un sénatus-consulte qui, se fondant sur la violation de toutes les libertés publiques, proclamait la déchéance de l’empereur, supprimait la conscription et les droits réunis, rétablissait la république, et convoquait à bref délai les électeurs pour nommer une assemblée nationale. Un gouvernement provisoire était, en attendant, chargé de pourvoir à la sûreté de l’état. Au nombre de ses membres figurait Moreau, alors en exil. Des

  1. Ancien secrétaire général du ministère de la police.
  2. Ernest Hamel.