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était même prescrit de pousser jusqu’en Sicile, Démosthène, par malheur, réussit à faire passer un messager à travers les lignes ennemies. Eurymédon fut ainsi avisé du péril que courait son collègue. Il se hâta de revenir sur ses pas, blâmant intérieurement la téméraire entreprise de Démosthène et se demandant avec inquiétude s’il n’arriverait pas trop tard pour prévenir une catastrophe. Les Lacédémoniens étaient lents à prendre un parti ; dans tous leurs mouvemens de guerre, on sentait généralement le guerrier pesamment armé qui se heurte aux obstacles, comptant sur sa force pour les renverser, et qui n’agit pas par ces coups soudains, inattendus, propres aux troupes légères. Ici cependant le danger d’une intervention de la flotte athénienne était trop imminent pour ne pas peser sur les déterminations des généraux Spartiates. Il fut décidé qu’on donnerait sur-le-champ l’assaut. La largeur de l’isthme limitait d’une façon irrémédiable l’étendue du front de bataille. On avait sous la main des forces considérables, on ne pouvait, quoi qu’on fît, les mettre en ligne ; il fallut se résigner à charger par échelons. On chargea ainsi tout un jour ; on reprit avec une nouvelle vigueur le lendemain. Pas une palissade ne céda, pas un pouce de terrain ne fut conquis. La flotte des Péloponésiens, pendant ce temps, agissait de son côté ; mais, ne trouvant nulle part une rive accessible, elle en était réduite à lancer de loin ses traits. Était-ce par une démonstration aussi insignifiante que la flotte prétendait seconder l’armée ? Oh nous, a plus d’une fois posé la même question devant Sébastopol. Brasidas s’indignait. Transporté sur un élément qu’il ne connaissait guère, le vaillant hoplite ne pouvait se figurer qu’avec de l’audace on n’eût pas raison de tout, de la mer et des vagues, aussi bien que des boulevards d’une ville ou des bataillons hérissés de fer de l’ennemi. « Les pilotes craignaient de briser leurs vaisseaux ! Et quand ils les briseraient ! Où serait le grand mal ? Fallait-il ménager le bois, quand on prodiguait les hommes ? Qu’on s’échoue ! qu’on débarque de façon ou d’autre et qu’on saisisse enfin corps à corps ces Athéniens ! » Ainsi parlait Bonaparte en Égypte quand il se fit jeter sans escorte, seul avec quelques officiers, sur la plage blanche d’écume du Marabout. Les hoplites ne veulent jamais écouter la voix quelquefois bonne conseillère des marins. Bonaparte faillit tomber aux mains des cavaliers arabes, pour avoir violenté la conscience émue de Brueys ; Brasidas n’échappa que par miracle à la mort ou à la captivité. Son pilote obéit quand le devoir d’un pilote judicieux était, en cette occasion, de résister.

D’un vigoureux effort la trière est portée en avant. La plage la reçoit et la plage la rejette. Pendant que, rudement secoué par la lame qui déferle, le vaisseau sacrifié talonne sur le fond dur, on apporte la planche de débarquement. Les matelots l’ont lancée à