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divers, n’aboutissaient qu’à des résultats insignifians, quand un général, « égayé par le vin, » et peu disposé à prendre mélancoliquement les revers qu’il venait d’essuyer en Etolie, eut une inspiration heureuse. Ce général portait un nom que l’avenir devait se charger d’illustrer : il s’appelait Démosthène, comme le grand orateur qui garde encore la palme de l’éloquence. Fils d’Alcisthène, il guerroyait sur le continent contre les Ambraciotes, pendant que Nicias, fils de Nicératos, opérait contre la Béotie et contre les îles réfractaires. Jamais généraux ne montrèrent humeur plus différente. Les Athéniens auraient fait choix de Démocrite et d’Héraclite pour commander leurs armées qu’ils n’auraient pas mis en présence deux caractères d’une opposition plus tranchée. Démosthène semble avoir été une sorte de Vendôme, joyeux compagnon que la défaite n’ahurissait pas, roseau flexible qui pliait sans se rompre et qu’on vit toujours se redresser sous l’orage, que l’orage vînt du Pnyx ou des sommets neigeux ; du Parnasse. Nicias avait les vertus et les tristesses prophétiques d’un Catinat. C’était un honnête homme, un citoyen pieux, un soldat énergique ; tout ce qu’il y avait de respectable dans Athènes mettait en lui, depuis la mort de Périclès, son espoir. Ne donnant rien au hasard, Nicias pouvait se vanter d’avoir en toute occasion réussi ; seulement les occasions de réussir il les cherchait peu, il les fuyait plutôt, content d’une médiocre gloire et craignant plus que de raison peut-être de compromettre dans quelque aventure la renommée qu’il s’était acquise. Démosthène au contraire engageait constamment un nouvel enjeu ; qu’il perdît ou qu’il gagnât, on était assuré de le retrouver promptement aux prises avec la fortune. Ce fut du sein même de l’adversité que cet esprit fécond fit jaillir une idée qui eut, on le verra, les conséquences les plus merveilleuses. Démosthène, ce jour-là, si l’on veut bien nous permettre de faire encore un emprunt au poète qui mettait son plaisir à ravager toutes les gloires d’Athènes, but réellement « le coup du bon génie. »

Les flottes de Périclès n’avaient qu’égratigné d’un ongle impuissant le territoire du Péloponèse ; le hardi collègue de Nicias conçut la pensée de traiter le Péloponèse comme les Péloponésiens traitaient chaque année l’Attique. Pour mettre ce plan à exécution, il fallait avant tout prendre son point d’appui sur le sol même qu’on se proposait de dévaster ; il fallait trouver en un mot à portée des côtes de la Laconie ce que les Anglais ont trouvé à proximité des côtes espagnoles, un Gibraltar inaccessible par terre aux armées ennemies, un Gibraltar accompagné d’une darse qui pût contenir et défendre, hiver comme été, les flottes athéniennes de la tempête. Cherchez sur les cartes que nous possédons aujourd’hui de la Morée un point stratégique qui réponde à ces conditions ; vous n’en