Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/624

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

marine d’Athènes ! L’Angleterre seule, quand elle nous avait pour ennemis, en a possédé un semblable. Aussi, plus qu’à nous encore, lui appartient-il peut-être de lire dans les vicissitudes de la marine athénienne une leçon.

Puisque les Péloponésiens se croyaient en danger dans les ports de l’Acarnanie, où se jugeraient-ils suffisamment abrités ? Dans le golfe de Corinthe, au fond du golfe de Crissa ; pas ailleurs ! Pour arriver à Corinthe, à Sycione, il fallait de toute nécessité passer au large de la presqu’île de Leucade, car Sainte-Maure alors n’était pas une île ; des alluvions récentes l’avaient jointe à la terre ferme par une étroite langue de sable qui s’est, à diverses reprises, rompue et reformée. Plutôt que de s’exposer à être aperçus dans leur mouvement de retraite par les éclaireurs d’Eurymédon, les Lacédémoniens entreprirent la pénible tâche de tirer leurs vaisseaux à travers l’isthme sablonneux qui leur faisait obstacle. Ils purent ainsi se glisser nuitamment le long de la côte et passer sans crainte devant Naupacte en ce moment dégarnie. Le golfe de Crissa cacha bientôt leur honte et déroba aux attaques des Athéniens leurs trières.

Qu’étaient, se demandera-t-on, venus faire Alcidas et Brasidas à Corcyre. Ils étaient venus encourager les menées du parti oligarchique. L’arrivée d’Eurymédon, la retraite des vaisseaux du Péloponèse rendaient à la démocratie un instant menacée le pouvoir absolu. On sait si les heures qui suivent les heures d’effroi sont des heures de clémence. La démocratie corcyréenne s’était crue perdue ; sept jours de massacres noyèrent dans le sang le souvenir des terreurs qu’elle avait éprouvées. La campagne de Corcyre succédant à l’inconcevable abandon de Mytilène a laissé sur l’écusson de Sparte une tache ineffaçable, Corcyre et Quiberon, voilà deux expéditions qui se répondent à travers les siècles, et, disons-le, deux expéditions qui se valent. Le sang des Spartiates non plus n’avait pas coulé ; l’honneur de Sparte coulait par tous les pores.


III

Tout cédait aux armes d’Athènes ; les dieux, par malheur, ne restèrent pas neutres. Le pesté fondit une seconde fois sur l’Attique. Quatre mille quatre cents hoplites et trois cents cavaliers, une partie notable de la population furent moissonnés dans le cours de l’hiver. L’été venu, Athènes se releva, bien affaiblie sans doute, mais non pas épuisée par ce nouvel assaut. Déjà la république préludait en Sicile par des escarmouches à la grande expédition que devait quelques années plus tard conseiller Alcibiade ; dans l’Étolie, elle cherchait à frayer un chemin à ses troupes jusqu’aux plaines verdoyantes de la Phocide. Toutes ces opérations, marquées par des succès