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l’employer. On ne fit pas, au cours du XVIe et du XVIIe siècle, un moins fréquent usage de la scie sur nos galères royales. Trois hommes de chaque banc passaient alors par-dessous les rames ; ils se tenaient debout, le visage tourné vers la proue, la main droite sur la poignée de leur aviron, attendant, pour plonger l’aviron dans l’eau, le signal du comité. Parfois aussi une portion des rameurs se bornait à faire volte-face pendant que l’autre portion de la vogue faisait courir les bancs de l’avant à l’arrière. Avait-on l’intention de faire tourner la galère « à la droite ou à la senestre ? » on armait la scie d’un côté, la vogue de l’autre. Toutes ces manœuvres n’ont rien que de très compréhensible ; ajoutons que, dans le combat, elles sont indispensables. Il est évident que, dès les premières luttes, il a fallu songer à renverser le mouvement des rames, de la même façon que nous renversons aujourd’hui le mouvement de nos machines. Comment cependant opérer un tel renversement, s’il faut pour cela mettre en branle tout un échafaudage de thranites, de zygites et de thalamites ? Dieu me garde de vouloir contester en quoi que ce soit l’habileté des « derrières usés, » — c’est ainsi, paraît-il, que s’appelaient entre eux « les vieux Agamemnons, » les old tars de la république athénienne ; — j’ai peine à croire toutefois qu’ils eussent accompli, sans engager et sans mêler leurs rames, un pareil tour de force.

Étagés sur trois rangs, comme le prescrit la critique moderne, ou partagés, comme le voulait le capitaine Barras de la Penne, en trois quartiers, les rameurs athéniens avaient habilement manœuvré devant Corcyre. La nuit seule mit fin au combat. Les Péloponésiens étaient incontestablement les vainqueurs ; ils ne se hasardèrent pas néanmoins à débarquer sous les murs de la ville ; ils allèrent, suivant leur invariable coutume, ravager la campagne. C’était toujours aux oliviers et aux vignes qu’on s’en prenait alors quand on n’osait pas s’approcher des murailles. Gardons-nous donc de nous étonner si l’auteur des Acharniens a trouvé bon de faire plaider la cause de la paix par les populations rurales de l’Attique. Sur les rivages de Corcyre cependant les Péloponésiens étaient moins rassurés que dans la plaine d’Athènes. La flotte, dont l’apparition suffisait pour jeter le trouble dans leurs rangs, ne pouvait venir les chercher au milieu des vergers d’Acharné ; il était à craindre qu’elle n’apparût, d’un instant à l’autre, devant le cap Leucimne. En effet, des signaux d’alarme ne tardèrent pas à rappeler au rivage les colonnes mobiles qui portaient partout le fer et le feu. Soixante vaisseaux athéniens s’avançaient de Leucade sous les ordres d’Eurymédon, fils de Théoclès. Les Péloponésiens ne les attendirent pas. Le continent même ne leur parut point un asile assez sûr ; ils s’y trouvaient trop près de l’ennemi. De quel ascendant jouissait à cette époque la