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les douceurs d’une démocratie triomphante. Leur surprise n’eut d’égale que leur émotion. Ils armèrent à la hâte soixante vaisseaux qui reposaient, dégarnis de leurs agrès, dans le port, et ils les envoyèrent, au fur et à mesure qu’on en complétait l’équipement, à la rencontre de l’ennemi.

A la façon dont cette flotte mal exercée encore se présenta au combat, les Péloponésiens reconnurent sans peine qu’elle était peu à craindre. Ils se contentèrent de lui opposer vingt vaisseaux et gardèrent le gros de leurs forces, — trente-trois trières, — pour faire face à dix vaisseaux athéniens accourus le jour même de Naupacte. Qui donc avait appelé si opportunément cette escadre, passée du commandement de Phormion sous celui de Conon d’abord, de Nicostratos ensuite ? La Salaminienne et le Paralos, en devançant l’ennemi, en criant aux armes quand tout dormait à Naupacte, sauvèrent la démocratie compromise à Corcyre. Semblables à deux limiers dont le nez a flairé la bête, les deux yachts avaient retrouvé les traces d’Alcidas, et depuis lors ils ne cessaient pas de le suivre à la piste. Ils étaient là prêts à combattre, avec les dix vaisseaux qu’ils venaient d’arracher, à une périlleuse somnolence, voltigeant sur les flancs de l’ennemi, profitant habilement de leur marche supérieure pour l’inquiéter sans se laisser saisir. La vitesse a été de tout temps d’un grand poids dans les affaires navales. Voyez d’ailleurs le peu que vaut le nombre en regard de l’instruction et de la discipline ! Sur leurs soixante vaisseaux, les Corcyréens en perdirent treize ; avec leurs douze trières, les Athéniens tinrent toute la flotte péloponésienne en échec. Alcidas et Brasidas firent de vains efforts pour les entamer ; les Athéniens, tout en reculant, ne cessèrent pas un instant de présenter la proue à l’ennemi. Ce furent eux qui sauvèrent, par leur bonne contenance, la flotte démoralisée de Corcyre. Pas un navire de cette misérable flotte n’eût, sans la diversion des Athéniens, regagné le port. Deux vaisseaux transfuges avaient déjà passé à l’ennemi ; sur les autres on s’injuriait, on se battait, on se disputait les rames. Les Péloponésiens auraient eu beau jeu au milieu de ce tumulte, mais ils n’avançaient qu’avec une extrême prudence, car les Athéniens étaient là, et Brasidas lui-même se souvenait de Naupacte.

J’ignore quel procédé employaient les anciens pour voguer en arrière, « pour donner une bonne scie, » suivant l’expression consacrée au XVIIe siècle. Tout ce que je sais, grâce aux fidèles et minutieux rapports de Thucydide, c’est que les trières athéniennes « sciaient » souvent. Ce procédé d’évolution était trop bien entré dans les habitudes de la marine grecque pour que nous puissions supposer un instant qu’il y eût difficulté, embarras quelconque à