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immédiat, nulle part nous ne verrons aussi bien à quel point le rôle de la marine moderne peut grandir.

Depuis la destruction de la flotte d’Égine, les Athéniens gardaient l’important privilège de posséder seuls des chiourmes bien exercées. Toute leur puissance reposait sur cet avantage. On se figurera difficilement, si l’on n’en a fait l’expérience, combien il faut de temps, de patience et de soins pour former un bon équipage de chaloupe, combien il en fallait à plus forte raison pour dresser une troupe de cent cinquante rameurs. Les capitaines des galères du XVIIe siècle, dans les documens qu’ils nous ont transmis, se plaignent souvent avec amertume de la difficulté qu’ils éprouvent « à faire aller les rames bien ensemble. » Un seul banc maladroit ou trop faible, nous disent-ils, « peut faire crever deux ou trois bancades de suite, par les coups de rames que les forçats se donnent les uns aux autres, au dos ou à la tête. » Le comité n’avait pour ressource alors que « de faire lever rames, afin de recommencer à donner la vogue. » La tâche du céleuste ne fut pas plus facile. C’était en vain, quand la mer grossissait, que, d’une voix enrouée, il continuait de marquer, avec un redoublement d’énergie, la cadence ; les rames ne tombaient plus toutes à la fois dans l’eau pour en sortir, par un effort simultané, d’un seul jet. Le roulis avait rompu le rythme, le désarroi était dans la vogue. Les trières ne paraissent avoir joui que d’une stabilité très insuffisante, et, bien qu’elles eussent l’habitude d’abattre leurs mâts avant de combattre, le moindre vent qui les prenait en travers suffisait pour mettre les rameurs dans l’impossibilité de lever les rames, amphérin tas côpas, nous dit Thucydide. Heureusement les rames à cette époque étaient courtes. Les matelots qui firent le trajet de Corinthe à Mégare, leur aviron sur l’épaule, auraient eu fort affaire s’ils avaient dû emporter ainsi la fameuse rame di scaloccio, inventée par les Vénitiens au cours du XVIe siècle, rame de 34, de 36, de 42, et parfois même de 50 pieds de long, dont nous faisions encore usage, en temps calme, sur nos bricks et sur nos corvettes, il y a quelques années à peine.

« Avant l’adoption de la rame vénitienne, écrivait, en 1614, le capitaine Pantero Pantera, les galères s’armaient à trois, à quatre, à cinq rames par banc, suivant l’usage des anciens. On n’employait pas, comme aujourd’hui, une seule rame mue par quatre hommes. Chaque homme maniait sa rame, et les galères vénitiennes sortaient généralement du port armées de trois hommes par banc. Cet armement, si j’en dois croire des vieillards qui ont commandé des galères ainsi armées, donnait de meilleurs : résultats que l’armement moderne d’une seule rame tirée par trois rameurs. »

Étudiez Hérodote, Thucydide, Marco Polo, le capitaine Pantero