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L’ÎLE DE CYPRE.

terre ne saurait se laisser soupçonner de porter ici une autre préoccupation que celle de servir ces intérêts supérieurs qui sont chers à tous les esprits cultivés. Elle devrait donc, sans hésiter, accorder la permission de faire des fouilles à quiconque la solliciterait pour résoudre un problème scientifique et non pour gagner de l’argent. Anglais ou étranger, tout savant sérieux devrait être sûr de voir sa demande accueillie.

Nous irions même volontiers plus loin ; nous voudrions que l’on ne renonçât pas tout à fait au concours que l’intérêt privé prête à la science désintéressée pour l’exhumation des peuples couchés dans la tombe et des œuvres de leurs mains. En dehors de certains sites pour lesquels l’état garderait ses ressources et ses efforts, la recherche des antiquités pourrait être permise à tout venant, et ceux que la fortune aurait favorisés seraient libres de disposer de leurs trouvailles. C’est le seul moyen d’affranchir les amateurs et les musées de cette prime qu’ils paient à la contrebande partout où le commerce des antiquités est prohibé et clandestin. La science même y trouverait son compte. N’est-ce pas à ces auxiliaires intéressés qu’elle doit, pour ne prendre nos exemples qu’en Syrie et à Cypre, des monumens d’une valeur inappréciable, tels que le sarcophage d’Echmounazar et la tablette de Dali ?

Le législateur ne se place pas au même point de vue que le prédicateur ou le moraliste ; il ne prétend point supprimer ni même combattre les instincts et les passions de la nature humaine ; tout ce qu’il se propose, quand il est sage, c’est d’en régler le cours et de les faire contribuer au progrès et au bien général. Agissez ainsi en cette matière ; pas plus à Cypre qu’en Grèce et en Syrie ne prétendez proscrire l’industrie des chercheurs de trésors, ces braconniers de l’archéologie. Vous ne les arrêteriez point par vos défenses ; le pays est désert et les nuits sont longues ; mais vous les accoutumeriez à dépecer toutes les grosses pièces, a casser tout ce qu’ils ne pourraient enlever. Laissez-les donc fouiller partout où vous ne songez pas. à fouiller vous-même, et que le plus tôt possible M. Newton ou quelque autre entreprenne à Paphos ou à Amathonte, à Idalie ou à Golgos, des fouilles comme Cypre n’en a pas encore vu, des fouilles dont le journal soit tenu heure par heure et où un crayon sincère relève au fur et à mesure les traces même les plus légères de cet art qui nous est encore presque inconnu, l’architecture phénicienne.

George Perrot.