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emballés presque aussitôt que trouvés et qui n’ont encore été figurés nulle part, pas même dans le livre de M. de Cesnola.

Depuis que M. de Cesnola a quitté Cypre, il ne s’y est, à notre connaissance, rien trouvé d’important. La cessation des grandes fouilles laissait inoccupés les ouvriers qu’avaient employés M. Lang et Cesnola ; ces ouvriers, pour la plupart des Daliotes, se sont organisés, sous la direction des anciens contre-maîtres, en sociétés coopératives, pour sonder différentes nécropoles ; on ne dit point que ces bandes aient découvert autre chose que des vases et des statuettes. Des recherches ont aussi été entreprises par M. Alexandre de Cesnola, ex-officier de la marine royale italienne et frère cadet de l’ancien consul ; il a surtout fouillé sur l’emplacement de Salamine, et en a retiré de petits monumens qui sont pour la plupart de l’époque grecque et romaine.

Depuis le mois d’août, sur un ordre formel envoyé d’Angleterre, le gouverneur, sir Garnet Wolseley, a défendu tout travail de fouilles. L’interdiction est générale ; elle s’applique aux Européens, aux étrangers, aussi bien qu’aux habitans de l’île. M. A. de Cesnola n’en tint aucun compte et continua de creuser ; il fut arrêté et détenu pendant une journée. Ses caisses, toutes prêtes pour être expédiées, furent saisies au nom de la reine[1].

On comprend les motifs qui ont décidé le gouvernement anglais à prendre une pareille mesure. Des fouilles comme celles que peuvent faire des paysans ou des marchands d’antiquités ont de graves inconvéniens. Conduites comme elles le sont par des gens ignorans et pressés qui ne songent qu’au gain, elles effacent, dans les nécropoles et parmi les ruines, presque toute trace des dispositions jadis adoptées par les architectes ; elles détruisent volontiers les monumens qui ne se laissent point aisément emporter. Il peut paraître utile d’arrêter ce gaspillage ; des fouilles méthodiques, dirigées par des hommes tels que M. Newton pour le compte du Musée britannique, seraient sans doute d’un bien autre profit pour la science. Que certains emplacemens soient ainsi réservés pour de grandes entreprises archéologiques dignes d’un pays comme l’Angleterre, rien de mieux assurément ; mais ne serait-il pas dangereux de donner à cette défense un caractère absolu ? L’Angle-

  1. On trouvera des détails sur cette arrestation dans le numéro extraordinaire que le journal New-York Tribune a consacré, le 27 novembre 1878, aux quatre conférences faites cet automne à New-York, par M. de Cesnola, sur l’art cypriote, numéro orné de nombreuses gravures sur bois. La presse américaine parait s’être émue de cette arrestation, quoiqu’il ne semble pas bien certain que M. Alexandre de Cesnola ait eu le droit de réclamer, comme il l’a fait, la protection du consul américain de Beyrouth. Quant au poste consulaire de Larnaca, il avait été supprimé après le départ de celui qui l’avait rempli d’une manière si brillante.