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L’ÎLE DE CYPRE.

figurée, et un cartouche qui semble rempli par des caractères cunéiformes grossièrement imités[1].

Le caïmakam de Larnaca avait essayé de gêner ces premiers travaux ; deux des ouvriers du consul avaient été arrêtés et détenus pendant quelques jours. Il y eut à ce propos, entre lui et les autorités turques, des conflits qui, grâce à l’énergie du ministre des États-Unis à Constantinople, se terminèrent par la destitution du caïmakam et l’appel à d’autres fonctions du gouverneur général. Le ministre, comme il le disait en plaisantant, avait « pincé la queue de l’aigle américain » et fait peur au grand-vizir. Depuis ce moment, le général eut toute liberté d’action, personne n’osa plus lui chercher noise. Pour éviter toute nouvelle discussion, il s’était d’ailleurs mis en règle ; M. Morris lui avait obtenu un firman qui lui permettait de poursuivre ses recherches dans l’île tout entière et de fouiller partout où il lui plairait, pourvu qu’il eût obtenu l’agrément des propriétaires du terrain. De temps en temps les pachas se plaignaient à Constantinople ; on l’accusait de miner des mosquées, de profaner les sépultures des vrais croyans ; mais le représentant de l’Amérique parlait alors si haut que ces doléances n’étaient pas écoutées. C’est après avoir repoussé une de ces attaques que le ministre écrivait un jour à M. de Cesnola : « D’après ce que l’on me dit, cher général, des trous que vous percez de tous côtés, je vois que vous avez l’intention de couler l’île un beau matin. Avant qu’elle s’enfonce, mettez en sûreté, je vous prie, les archives du consulat américain. »

Au printemps de 1867, M. de Cesnola s’établissait, avec femme et enfans, pour y passer l’été, dans une petite maison de campagne, au milieu d’un jardin d’orangers et de citronniers, tout près du village de Dali. L’air est plus frais là qu’à Larnaca ; on y est déjà à une certaine hauteur au-dessus du niveau de la mer et tout près de la montagne : ce ne sont plus les chaleurs écrasantes du littoral. Il y avait d’ailleurs à ce choix une autre raison. Cet Hadji-Iorghi, dont nous avons raconté la triste fin, avait apporté plusieurs fois au consul des fragmens de sculpture trouvés sur le territoire de Dali. M. de Cesnola songeait à occuper les loisirs de sa villégiature en interrogeant, lui aussi, ce sol déjà fameux. Il commença par explorer les abords du village et reconnut, vers le sud et l’ouest, l’existence d’une vaste nécropole. Là, sur les pentes des collines, il trouva les sépultures gréco-romaines superposées aux phéniciennes, et, de ces dernières, il retira des poteries archaïques des plus variées et des plus curieuses, une coupe de bronze ornée de figures ébauchées avec le marteau, au repoussé,

  1. Cyprus, chapitre I.